« Communs numériques, 20 ans d’histoire avec VECAM »

Compte rendu de conférence : l’émergence des communs numériques en France et le rôle de VECAM

Le 18 avril 2024, lors du séminaire mensuel de la Coop des Communs, une analyse minutieuse sur deux décennies de l’évolution du rapport aux NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) et des communs numériques en France a été présentée, avec un focus tout particulier sur l’expérience de l’association VECAM, fondée en 1995. Deux interventions ont été proposées par Valérie Peugeot, d’une part, chercheuse et ex présidente de VECAM et d’autre part, Nicolas Loubet entrepreneur-chercheur engagé dans les communs. Michel Briand, membre actif de VECAM pendant de nombreuses années, a apporté aussi ses contributions éclairantes.

Dans un premier temps, nous effectuerons un court rappel des idées clefs présentées par les intervenants, puis dans un second temps, nous ferons un résumé succinct de la conférence relatant l’histoire entremêlé des communs et de VECAM en France :

Perspectives apportées par chaque intervention

Valérie Peugeot est chercheuse et militante pour les communs numériques. En tant qu’ancienne présidente de VECAM, elle a apporté une perspective essentielle sur le rôle de VECAM dans la politisation du numérique et la promotion des communs.
Elle a souligné l’importance des actions concrètes menées par VECAM, telles que le projet « Ville Internet », qui a contribué à sensibiliser les collectivités territoriales aux enjeux de ces nouvelles technologies de l’information. De plus, elle a mis en évidence le rôle crucial de VECAM dans la résistance au renforcement des droits de propriété intellectuelle sur internet qui s’est inscrit par la suite dans la promotion des communs numériques comme alternative viable.

Nicolas Loubet est entrepreneur-chercheur, en action notamment sur les politiques énergétiques et numériques. Il a partagé son expérience et son engagement en faveur des communs. Sa présentation a mis en lumière l’importance de la coopération ouverte et du partage dans la construction d’une société numérique plus équitable. Il a illustré son propos en évoquant des exemples d’initiatives solidaires, tels que les réseaux de Fablabs et de tiers-lieux, qui ont démontré le potentiel des communs lors du premier confinement pour répondre aux besoins les plus urgents de la pandémie (gel hydroalcoolique, visières, mise à disposition d’infrastructures numériques, etc.).

Michel Briand est membre de la COOP des communs, mais aussi ancien membre du Conseil National du Numérique, aux côtés de Valérie Peugeot, et de l’association VECAM. Il a apporté des éclairages supplémentaires sur le rôle de VECAM dans la diffusion des communs et le partage des connaissances. Son intervention a souligné l’importance de la collaboration et de la mise en réseau des acteurs, tant au niveau national qu’international. Il a également mis en avant le décalage entre les collectivités territoriales et les initiatives de communs numériques.

Temps fort de l’histoire des communs et de VECAM

La période « pré-commun »

La genèse de l’association VECAM remonte à 1995, à l’époque du G7 qui portait sur les NTIC. Portée par Jacques Robin et Véronique Kleck, à l’initiative de la revue “Transversales Sciences Culture”, VECAM est née dans un contexte de préoccupation croissante concernant les implications sociétales des technologies de l’information et les risques, de ce qui sera appelé plus tard, une fracture numérique. Les premières actions de VECAM ont été caractérisées suite à la création du groupe des 10, réunissant intellectuels et politiques pour construire un dialogue sur les enjeux sociétaux liés à internet. VECAM s’est développée dans un cadre international avec des collaborations en Afrique subsaharienne et au Canada. L’association a notamment joué un rôle majeur dans l’organisation des sommets mondiaux sur l’internet et le développement.

Des luttes éparses contre le renforcement des droits de propriété intellectuelle…

Dans un contexte politique de renforcement des droits de propriété intellectuelle sous toutes ses formes, VECAM a pris part aux mouvements de résistance, qui ont émergé au début des années 2000. L’adoption de l’accord sur les ADPIC (Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce) en 2001 a eu des conséquences désastreuses, spécialement sur l’accès aux médicaments pour les pays en développement. La loi DADVSI (droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information), une transposition de la directive européenne 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins (Propriété Intellectuelle) a créé de nombreux débats. L’extension de la durée du droit d’auteur de 50 à 70 ans a également suscité des réactions comme un regain d’intérêt pour le mouvement du logiciel libre et la création d’initiatives comme les licences Creative Commons. Des actions pionnières ont été menées, comme la journée sur la PI (Propriété Intellectuelle) créée par l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) en 2000 ainsi que l’organisation de nombreux autres événements.

Des étapes importantes ont suivi, comme le SMSI (Sommet Mondial de la Société de l’Information) qui vise à réduire l’inégalité des habitants et habitantes de la planète vis-à-vis de l’accès à l’information par le biais des nouvelles TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) :

  • Notamment de celui de Genève, auquel VECAM a pris part en 2003 aboutissant à la publication du premier texte « Cause Commune » en 2004,
  • Celui d’Alger en 2005
  • Le colloque à l’ENST (École Nationale Supérieure des Télécommunications) lui aussi en 2005, qui a permis une réflexion approfondie sur les enjeux du développement face au bien commun de l’information et de la propriété intellectuelle.

…au combat commun contre la restriction de l’information

Le grand tournant s’est produit en 2005 avec un regroupement des luttes éparses autour de la problématique commune d’enclosure de l’information.
Cette période a été marquée par des actions pionnières dans des domaines variés tels que l’éducation (ressources éducatives libres avec par exemple SESAMath), l’agriculture et le patrimoine. VECAM va même encore plus loin et fonde en 2012 un réseau francophone des communs donnant naissance à des festivals et à des initiatives locales pour promouvoir cette approche collaborative dont certaines villes s’emparent collectivement (à l’image de Brest en communs).

Un deuxième tournant s’est produit dans les années 2008-2012 : avec une rencontre du monde industriel au centre Pompidou, la création en 2008 de la Cantine à Paris, en 2009 dans le contexte de la lutte contre Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet). À cette période, le média libre en ligne OWNI a été lancé, premier espace français à la croisée entre data journalisme et implication politique. En Allemagne, des mouvements ont aussi ont été lancés comme le Commons Strategic Group en 2010, donnant naissance à des organisations comme « Remix the Commons ».

Les communs : une place importante dans les débats publics

Les communs numériques ont commencé à être intégrés dans les débats concernant le numérique notamment par la présence de Valérie Peugeot et de Michel Briand au sein du Conseil National du Numérique (CNNUM) durant le mandat de Benoit Thieulin (janvier 2013 – janvier 2016).

Ainsi, le concept a été présenté dès le deuxième rapport sur l’inclusion et la citoyenneté politique, aux côtés d’autres notions telles que la capacitation et l’autonomisation. La préparation de la loi pour une république numérique a été une étape marquante. La première version de la loi soumise à une consultation publique, contenait un article visant à intégrer les communs (article 8) dans le code civil. Ce qui entraîna des résistances, particulièrement de la part des industries culturelles, illustrées par des rencontres et des débats politiques déséquilibrés entre des industries avec un poids important et quelques représentants des communs.

Depuis 2018, l’évènement NEC (Numérique en communs) a succédé aux Assises de la médiation numérique. Son but est d’accompagner les acteurs de la médiation, les collectivités et les entreprises dans le développement d’un numérique d’intérêt général inclusif, éthique et durable. Les communs numériques prennent ici une coloration différente des premiers mouvements des communs numériques et questionnent ce que ce concept produit et dynamise en 2024 (modernisation de l’état, transformation publique, etc.).

En conclusion, le séminaire a permis de mettre en lumière la cohabitation entre différentes sphères sociales et les moments de convergence et de collaboration dans l’évolution des communs et du numérique en France. Il a également souligné l’importance du travail continu de réflexion et d’action pour promouvoir une approche collaborative et citoyenne du numérique, avec VECAM en première ligne de ce mouvement. Cependant, des défis persistent, notamment dans l’alignement avec les collectivités territoriales et la sensibilisation des communautés locales aux enjeux des communs.

Nous remercions la Coop des Communs pour l’organisation de cet évènement et l’accueil que les membres nous ont réservé.
Nous remercions aussi Nicolas Loubet pour sa relecture attentive de notre billet et les ajouts qu’il a effectués dans le texte.