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De l'émergence à la conception de communs numériques : l'apport du design dans le courant des communs numériques

De septembre à 2021 à janvier 2023, Benjamin Jean a rejoint les bancs de l’école de design l’ENSCI-Les ateliers pour suivre le mastère spécialisé Innovation By Design. Participant ainsi à la volonté du cabinet de mieux s’approprier les méthodologies du design, l’accent a ensuite été mis sur les pratiques de design au sein des communs numériques au travers d’une thèse professionnelle qui vient d’être publiée en accès libre !

Thèse professionnelle à l’ENSCI

Début 2023, Benjamin Jean a soutenu une thèse professionnelle pour l’obtention d’un titre d’« Expert.e en stratégie d’innovation durable par le design ». Le sujet choisi – qui rejoint les questionnements du cabinet Inno³ – a porté sur l’apport du design dans le courant des communs numériques, de leur émergence à leur conception. Le fil directeur de la thèse s’est articulé autour d’une question : quelle est la place du design et des designers au sein des projets de communs numériques ?

Résumé du mémoire

Cette thèse professionnelle questionne le rôle du design au sein du mouvement des communs numériques.
Sortant du cadre anxiogène d’un numérique qui serait déshumanisant, l’étude appréhende le numérique comme l’opportunité de renforcer l’humain et les relations sociales dans une perspective de production commune. Elle identifie, positionne et propose d’articuler différents mouvements sociaux et les figurent qui les habitent – hackers, commoners, designers et passeurs – dans la recherche d’une utopie concrète.
Le fil rouge de cette étude est celui de la conception, tel que le design en fait un objet de pratique, permettant d’interroger l’intervention du designer (en distinguant notamment le « designer commun » du « designer expert ») et les modalités particulières d’application du design en matière de communs.
Ces réflexions sont menées tant vis-à-vis de la production des ressources numériques – avec un intérêt particulier pour les ressources éminemment sociaux techniques que sont les objets frontières – que des règles d’organisation de la communauté. Elles s’appuient sur l’étude de certaines organisations communautaires existantes et s’inspirent des systèmes qui les sous-tendent.
S’appliquant certaines pratiques et idées qu’elle développe, cette étude propose une vision partagée des actions respectives afin de contribuer utilement aux réflexions et pratiques actuelles. Elle s’étend aux conditions concrètes d’intervention du design et détaille à la fois la place qui peut être donné au design au sein des communautés intéressées et la manière dont les principes des communs pourraient être mieux infusés au sein des designers.
Elle se termine enfin par un regard introspectif, une synthèse des enseignements et quelques propositions de développement de ces recherches pour l’avenir en visant une société numérique plus humaine et éthique.

Cette étude a été un moyen de faire un état des lieux global, de situer et analyser les pratiques de design applicables dans les projets de communs numériques. Elle se conclut par quelques recommandations directement activables afin de rapprocher le design des autres courants agissant en matière de communs et propose quelques pistes de recherche complémentaire.

Réflexions portées par le mémoire

Plusieurs hypothèses ont été formulées :

  • L’approche des communs numériques au travers du design permet de repenser les outils, les usages et les pratiques des communautés pour une plus grande pérennité ;
  • La nécessité de repenser le design à l’ère de notre société, afin qu’il puisse pleinement concourir aux enjeux sociétaux auxquels répondent les communs numériques ;
  • les différents mouvements et pratiques observées en matière de concepteurs de ressources numériques se recoupent ou se côtoient souvent, sans que de véritables convergences se créent.

Dans ce contexte et pour répondre à ces réflexions, en plus d’un important travail bibliographique, plusieurs entretiens ont été menés avec des designers plus ou moins familiers et/ou impliqué.e.s dans des projets de communs numériques.

Posture du designer

Tout au long de l’étude, les rôles des différentes personnes au sein d’une communauté ont été interrogées tout autant que leurs manières d’interagir ensemble. La figure du designer a été resituée par rapport à d’autres profils tels que les commoners, les hackers, les brokers (courtiers ou passeurs) afin de situer leur rôle respectif dans les communautés (cf. schéma ci-dessous).

Ce schéma permet de situer différentes figures clefs représentatives en fonction de leur participation à différents projets et les perspectives dans lesquelles elles y contribuent (collaboration, politique, industriel, fonctionnel). Cela a permis de resituer les designers aux côtés d’autres profils aux motivations et moyens d’actions distinctes.

Par la suite, les champs et les conditions d’intervention du design dans la conception de communs a été analysée. Cette étude donner à voir la place possible du design au sein d’autres mouvements (communs, logiciels libres, etc.) afin de soutenir/maintenir des pratiques d’ouverture et de collaboration.

Ce schéma présente le positionnement des designers

Recommandations

Plusieurs pistes d’amélioration sont ainsi formulées pour accompagner l’introduction du design au sein des communautés :

  • Assurer une bonne réception du design,
  • Valoriser les designers comme contributeurs,
  • Intégrer les pratiques du design dans la gouvernance des projets.

En symétrique, l’importance des communs et des modèles ouverts dans la formation des designers est soulignée tout autant que les passerelles à construire entre communautés et designers (médiation, interfaces à développer). Un ensemble d’actions concrètes pour faire fructifier les synergies entre design et communs comme le souligne Benjamin Jean dans sa conclusion.

Tirant ses forces de l’énergie des communautés du numérique investies dans la production de ressources libres, ouvertes et autogérées, il semble que le design puisse apporter à ce mouvement social tout le sens et l’effectivité dont il a besoin pour changer durablement notre société et embrasser pleinement la dynamique humaine qui caractérise les communs numériques. Les communautés pourraient ainsi s’en retrouver plus fortes, plus ouvertes et peut-être même plus inclusives.

Extrait de la conclusion du mémoire

Nous tenons à remercier l’ensemble des personnes interrogées qui nous ont permis de nourrir nos réflexions et nous aider dans la rédaction de réponses à nos hypothèses