Retour sur EOLE 2019 – Panel 2 : Licences Open Source et communs numériques

1. Construire un commun numérique de l’administration publique pour les logiciels Open Source: l’expérience du CSI-PiemonteLaura Garbati, Avocate CSI Piemonte

Le CSI Piemonte est un consortium interne de plus de 100 administrations publiques locales basées dans la région italienne du Piémont, qui, dans le cadre de sa mission, soutient, au nom de ses membres, l’utilisation de l’open source comme moyen de partager et d’améliorer correctement le développement de logiciels conçus pour des projets d’intérêt public. Cet objectif est soutenu par un contexte politique et juridique favorable à son développement et à sa croissance.

La Loi régionale du Piémont (Loi régionale du Piémont 9 / 2009) mentionne spécifiquement la préférence pour les logiciels Open Source, et pour la diffusion de ses propres logiciels sous une licence libre. Plus récemment, en 2016, le Code de l’administration publique numérique (Décret législatif 82/2005) a été modifié afin de rendre obligatoire pour toutes les AP la publication sur un dépôt public des logiciels développés et détenus par elles-mêmes sous une licence libre. En outre, si une administration a l’intention d’acquérir des biens ou des services informatiques, la priorité est donnée aux logiciels libres.

Ce cadre juridique est également soutenu par les lignes directrices de l’AGID (l’agence numérique italienne), publiées le 9 mai 2019, qui fournissent des bonnes pratiques pour le choix d’une licence Open Source, et un guide pour la mise à disposition d’un logiciel Open Source sur un dépôt public ; les lignes directrices favorisent également la coordination et la collaboration entre les entités publiques.

Fort de cette base solide, le CSI-Piemonte a déjà pu mettre en ligne sur un dépôt public certains projets, comme la plateforme de cloud computing  » Nivola « , une solution qui facilite l’utilisation et la gestion des infrastructures et services de cloud computing.

Pour poursuivre et maintenir cette dynamique, le CSI-Piemonte relève désormais de nouveaux défis spécifiques, en passant d’un modèle  » open source by design  » à un modèle  » community by design « . Il a été constaté que la simple publication ne suffit pas ; une collaboration est nécessaire, avant et après la publication, afin d’obtenir un avantage effectif pour l’ensemble de l’AP. D’autres points importants sur lesquels il faut se concentrer sont également de connaître les ressources open source déjà partagées/partagées afin d’éviter le développement de projets similaires et de soutenir les communautés de développeurs en aval et en amont.

Les points clés à retenir :

  • Le CSI-Piemonte est un consortium interne d’autorités publiques qui essaie de conduire ses membres vers un environnement open source plus partagé et plus répandu
  • Le cadre juridique italien existant prévoit déjà une obligation, mais le soutien et la collaboration du gouvernement pour le projet sont des facteurs clés pour son succès
  • Plusieurs axes de travail sont en cours de réalisation pour renforcer le projet : 
  • Adapter les ressources aux besoins des administrations,
  • Engager une réflexion sur l’appropriation publique des projets,
  • Concevoir et intégrer la participation communautaire à chaque étape de la production d’un commun
  • Définir clairement quels modèles communautaires appliquer et dans quel contexte, dans le but de construire une communauté ouverte d’administrations publiques

2. Contrat Mainteneurs : une solution innovante pour favoriser la construction durable des communs – Camille Moulin, consultant inno³

En partant du constat qu’à l’heure actuelle la majorité des programmes propriétaires contiennent des briques logicielles Open source qui sont maintenues par une petite communauté d’acteurs (souvent non rémunérés pour leur travail), le projet Contrat Mainteneurs a pour vocation de fournir à ces communautés des moyens financiers adéquats pour leur permettre d’assurer la durabilité des ressources produites. Le problème du défaut de maintenance des briques Open source peut en effet se révéler très impactant pour l’ensemble des acteurs s’étant appropriés la ressource. Ce fut par exemple le cas lors de la survenance d’une faille de sécurité dans la bibliothèque Open source OpenSSL, composant tiers utilisé par un grand nombre d’acteurs, y compris de banques, et qui était maintenu par seulement deux personnes de manière indépendante.

Face à cette problématique, le Contrat Mainteneurs a vocation a devenir un contrat standardisé et destiné aux projets ayant déjà acquis une certaine notoriété. Juridiquement, ce dernier se base sur le droit des marques, ce qui permet de ne pas empiéter sur le domaine des licences Open source et de compléter le modèle existant avec un nouvel arsenal juridique et financier. Son fonctionnement est le suivant : ce sont les intermédiaires (et non les utilisateurs finaux) qui tirent directement des revenus issus de l’utilisation du programme concerné et qui doivent reverser une partie de ces revenus, environ 1 %, aux mainteneurs du projet au titre de l’usage de la marque.

Si le projet « Contrats Mainteneurs » en est encore à ses prémices, il doit pour le moment faire face à plusieurs enjeux de taille pour pouvoir prospérer. Du côté des projets Open source, il s’agit de produire un contrat suffisamment lisible et accessible afin que les mainteneurs puissent se l’approprier avec confiance, comme ce fût le cas pour les licences Open source. De plus, l’usage d’une marque suppose d’enregistrer le projet à titre de marque, ce qui est susceptible d’être un frein supplémentaire. Enfin, la redistribution au titre d’usage de la marque, prévue à hauteur de 1 %, nécessite encore d’être acceptée par les communautés et les intermédiaires susceptibles d’adopter le Contrat Mainteneurs. La détermination de l’assiette de prélèvement sera également déterminante pour établir une relation de confiance entre les parties prenantes.

Les points clés à retenir :

  • Complémentaire aux licences Open Source, le « Maintainers’ Contract » tire sa force du droit des marques et permet de reverser aux mainteneurs des logiciels libres une partie de la valeur captée par le marché
  • La rémunération est versée par les intermédiaires techniques aux mainteneurs sur le fondement de l’utilisation de la marque
  • En phase de maturation, le projet doit encore faire face à plusieurs enjeux : lisibilité, accessibilité, standardisation, fixation équitable et acceptation du prix par les parties prenantes (prévue pour 2020).

3. La licence comme outil de redistribution de la valeur au sein des communs numériques – Vincent Bachelet, vice-président CoopCycle

CoopCycle est un réseau européen de coopératives de livreurs à vélo. Le but de ce réseau est de permettre aux coopératives de livreurs de s’émanciper des plateformes de livraisons actuelles qui accordent une protection faible – voire inexistante – aux livreurs et ne permettent pas à ces derniers de faire entendre leurs revendications sociales.

L’outil clé du projet de « libération » des livreurs est une plateforme logicielle et une application mobile indépendantes qui leur permettent d’organiser et de programmer leurs activités. Cette ressource commune est développée et maintenue par l’ensemble de la communauté participant au projet. À l’heure actuelle CoopCycle est en plein essor et compte plus d’une vingtaine de coopératives réparties en France et en Europe de l’ouest. Du fait de l’évolution croissante du projet, la fédération se voit désormais confrontée à de nouvelles problématiques.

Le premier enjeu est d’abord économique. L’association cherchant à l’heure actuelle un moyen de construire une activité pérenne autour de l’activité de livraison à vélo, plusieurs pistes de financement sont à l’étude : financement public, mutualisation des ressources, instauration d’un système de cotisation au sein de la fédération, ou encore diversification de l’activité principale de la fédération.

CoopCycle doit également faire face à un certain nombre d’enjeux d’ordre organisationnel et juridique. Ainsi, le modèle d’ « ouverture » de l’application mobile est le résultat d’un arbitrage entre la volonté de produire un commun numérique sur la base d’une licence Open Source et le souhait exprimé de défendre les intérêts d’une communauté de livreurs indépendants. C’est sur cette base qu’est née la Coopyleft License, qui jongle entre droit d’accès au code source de l’application sur le modèle de la licence Affero GPL-3.0, et faculté de réutilisation commerciale restreinte aux seules coopératives salariant les livreurs. Pour le moment, la Coopyleft License doit encore être adoptée par l’ensemble des coopératives de la fédération, ce qui représente un enjeu majeur pour CoopCycle, tandis que d’autres outils juridiques (mutuelles d’entreprises, usage d’une marque, etc.) sont encore à l’étude pour faire vivre et grandir ce commun numérique.

Les points clés à retenir :

  • CoopCycle est un réseau de coopératives de livreurs ayant vocation à fournir à ces dernières les moyens de leur indépendance face aux plateformes de livraison actuelles
  • L’application CoopCycle permet de fournir aux coopératives de livreurs un outil fiable et indépendant pour réaliser leurs livraisons. Son code est ouvert à tous, son utilisation commerciale est réservée aux coopératives de livreurs.
  • Le développement de l’association implique de prendre en compte le financement de la ressource commune, de promouvoir l’utilisation de la Coopyleft License auprès des coopératives, et d’instaurer une gouvernance ouverte et efficiente au sein du projet

Les autres restitutions de cette journée

À la suite de ce premier panel, découvrez également les autres interventions de cette journée axée Enjeux juridiques des communs numériques.

A propos de EOLE

Cycle de conférences annuelles à rayonnement international, l’European Open Source & Free Software Law Event (EOLE) a pour ambition de favoriser la mutualisation et la diffusion de connaissances juridiques relatives aux licences ouvertes ainsi que le développement et la promotion de bonnes pratiques. Initiative née en 2008 des besoins des praticiens du domaine, EOLE a pour objectif de développer une doctrine juridique dédiée à l’open source, avec une attention particulière à la délivrance d’informations neutres et de qualités. Cette année, EOLE a pris place à Marseille le 16 Octobre.

Nécessités pour certains, alternative pour d’autres, les « communs numériques » deviennent le nouvel eldorado dans une société parfois trop technologique et pas assez humaine. Ce phénomène croissant transforme profondément les pratiques et usages de nombreux domaines : santé, mobilité, spatial, etc.