Conjuguer open source et science ouverte : opportunités et leviers d’action

Journée « OpenValo » : éléments de contexte

La journée « Comment valoriser par l’open source ? » fait écho aux pratiques constatées en matière de diffusion de projets de recherche en open source par le CNES. Une étude a été réalisée courant 2018 par le cabinet Inno³ sur l’évaluation de la valorisation des logiciels libres et open source au sein de l’établissement public, afin d’en tirer des éléments génériques de valorisation et de pilotage pour le centre (slide). Dans le cadre des COMETS (communautés d’experts), cet évènement a été organisé dans le but d’élargir les réflexions et d’éclairer les relations entre open source, valorisation, recherche et mutualisation dans le contexte du spatial et d’autres secteurs d’activités connexes (aéronautique, télécommunication).

Dans l’esprit des COMETS de faciliter échanges et coopérations, la présentation de l’étude a été complétée par des témoignages d’autres acteurs de la recherche française confrontés à ces mêmes enjeux et à des retours d’expériences de projets open source. Nathalie Gandon a ainsi témoigné des expériences en matière de valorisation de projets open source au sein de l’INRA (prochainement INRAE) et François Pellegrini a partagé les réflexions issues du groupe de travail logiciels du Comité pour la Science ouverte (CoSo). Les nombreux retours d’expérience de projets open source présentés durant l’après-midi ont permis de réunir et de faire échanger les chercheur.e.s présent.e.s sur leurs pratiques et expériences de développement open source.

Outre une description de chaque projet open source (aspect technique et périmètre), les présentations sont venues alimenter le fond en illustrant les dynamiques de valorisation à l’œuvre : tant les éléments porteurs (motivations, impacts sociaux, économiques, techniques, dynamique contributive) autant que les freins actuels au développement de tels projets (pérennité, soutenabilité et accompagnements des communautés, enjeux juridiques, positionnement des SATT, etc.). Enrichies des remarques et commentaires de l’assistance (porteurs de projets, chercheurs publics et privés, industriels, SATT et autres organismes publics et privés), les contenus de la journée font ressortir un écosystème riche réunissant acteurs de la recherche et de l’innovation, combinant leurs forces respectives autour de projets open source. Cette opportunité est néanmoins à construire avec la prise en considération des spécificités des dynamiques communautaires et des modalités propres d’évaluation et de valorisation des usages au sein de tels écosystèmes.

Cet article vise à partager une synthèse des prises de notes de la journée, à analyser les bénéfices de cette journée et en tirer quelques principes clefs pour poursuivre efficacement sur cette voie.

Un ensemble d’éléments saillants à la réussite de tels projets est résumé dans la suite de cet article, qui s’attardera également sur les contraintes associées au système de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (ESRI) actuel malgré un contexte global favorable à l’ouverture (open data, open science). En effet, actuellement open source et science ouverte n’apparaissent pas encore avoir pu libérer les pleins potentiels de leur croisement.

1. Retours d’expériences de la journée « OpenValo » CNES-COMET :

Illustrations des leviers de valorisation de projets open source – gouvernance ouverte et politique globale open source

Les projets présentés (MicMac, Pangeo, VHDLtool,OpenSAND/OpenBACH/SNS3,DMOSDK,SPIS) tout au long de l’après-midi montrent l’existence d’un vivier de pratiques open source au sein de la recherche avec des dynamiques communautaires qu’il s’agit de potentialiser. Les initiatives illustrent en effet les logiques écosystémiques au cœur de projets open source avec le développement de logiciels sur des sujets de niches (photogrammétrie, traitement de données environnementales, SatCom, etc.) reposant sur des logiciels open source plus généraux. Contribuer au maintien et à l’amélioration des briques essentielles de ces logiciels – même si elles ne sont pas rattachées directement au logiciel spécifique – permet d’augmenter la qualité et l’impact global de l’ensemble des logiciels de l’écosystème. Plus encore, l’implication d’acteurs tiers au secteur de la recherche permet d’atteindre des objectifs de maintenance et de pérennité difficilement conciliable avec les seuls objectifs de recherche. Soutenus par une communauté, parfois commercialisés par des industriels, de tels projets deviennent aussi une option viable pour les acteurs économiques susceptibles d’en faire usage dans leur activité voire d’y contribuer.

Ces projets mettent en effet en avant l’importance des dynamiques multi-échelles et de la contribution aux logiciels open source. Ils font ressortir qu’au-delà de la dimension technique et économique, ce sont les dynamiques contributives qui sont au cœur des projets et de leur succès.

Un des constats essentiels concerne les changements culturels et de vision qu’implique la mise en œuvre de ces projets avec une adaptation des modèles de valorisation. Faire vivre ces communautés nécessite de s’appuyer sur des logiques spécifiques impliquant des éléments à la fois technique, organisationnel, économique tout autant que des enjeux de gouvernance comme le soulignait le matin-même Benjamin Jean en rappelant trois principes stratégiques clefs des projets open source :

La valorisation par l’open source – Un changement en termes de valeur :

  • Ouvrir ne veut pas dire abandonner : Les stratégies nouvelles doivent être anticipées en amont des typologies d’usage et des modalités associées. Elles doivent aussi clairement identifier l’emprise de chacun sur chaque ressource.
  • Combiner, articuler et ne pas opposer : La stratégie repose sur la combinaison de différents actifs immatériels afin d’être optimisée.
  • Ne pas confondre posséder et contrôler : La place prise dans la gouvernance d’une ressource prime sur la question de la propriété. L’adoption d’un projet par les tiers repose sur la capacité à partager la gouvernance de la ressource.

==> À cet égard, trouver un juste milieu entre anticipation et lâcher prise est un facteur clef dans l’adoption des modèles ouverts (open source et open data).

Le projet Pangeo, une communauté développant un écosystème open source pour les données massives en géoscience, a montré par exemple l’importance de la constitution et le maintien d’une communauté. L’organisation des échanges via des réunions hebdomadaires et la création de listes de discussion facilite l’avancement régulier des différents modules du projet. À cela se rajoutent des temps forts (conférences annuelles) pour réunir plus ponctuellement la communauté internationale des contributeurs. L’importance des conférences pour faire se rencontrer l’ensemble des contributrices et contributeurs a été soulignée également par Orfeo ToolBox avec la conférence FOSS4G organisée par la fondation OSGeo dans le but de fédérer les projets libres et open source dans le géospatial.

Orfeo ToolBox est en effet un logiciel de traitement de données de télédétection impulsé par le CNES en 2002. La présentation du projet a notamment porté sur l’évolution du projet avec un tournant important en 2006. Un des porteurs du projet revenait sur cette prise de décision et soulignait qu’elle constituait plus qu’un simple choix juridique, mais bien un questionnement plus général sur les modalités de gouvernance. Pour faire vivre le projet et faciliter l’enrichissement par des contributions externes du logiciel, les membres du projet ont noté l’intérêt de détailler les processus de prise de décision et de tenir au courant des choix émis dans un souci de transparence et d’équité entre l’ensemble des contributeurs. C’est ainsi qu’une gouvernance ouverte s’est développée avec la constitution d’un comité directeur au sein du projet mais aussi le rattachement à la fondation OSGeo. Un tel rattachement s’est traduit par un mentoring, bénéfique à la professionnalisation du projet, et à sa diffusion accrue.

Les exemples donnés avec Orfeo ToolBox mais aussi avec les trois logiciels complémentaires OpenSAND, OpenBACH et SNS3 (domaine des télécommunications satellitaires) ont rappelé les avantages de l’implémentation d’une gouvernance ouverte. Elle implique en effet de fixer des règles communes et de mettre à plat en amont du développement l’ensemble des considérations techniques, organisationnelles et économiques. Les discussions en début de projet sur la propriété intellectuelle et le socle contractuel qui en résulte, comme le rappelait un des responsables du projet Open SAND, permettent à la fois d’établir un rapport de confiance entre partenaires, de supprimer l’« effet boite noire » et de plus de dessiner des collaborations à plus long terme. Même si cette étape peut paraître fastidieuse, « poser l’avant et l’après » ainsi que le mentionnait un des porteurs de projet de SPIS – logiciel de modélisation des interactions entre plasma et vaisseau spatial – facilite une anticipation des axes de développement pour valoriser le logiciel dans l’optique d’une politique globale open source.

La question de la valorisation était au cœur des retours d’expérience lors de cette après-midi et faisait écho aux propos de la matinée (présentation d’Inno³ et table ronde) sur l’articulation entre valeur financière et valeur spécifique liée aux établissements de recherche.

Les opportunités créées par des dynamiques open source sont de nature économique et partenariale avec le déploiement de modèles économiques basés sur la mutualisation des coûts de développement. Un point mentionné par exemple dans le cadre de VHDL Tool outil pour faire de la qualité continue de code. Si le choix de l’open source a été à plusieurs reprises périlleux de par la frilosité d’entreprises à développer en open source ou bien par le manque de moyens pour l’implémentation d’une interface graphique, cette décision a au final permis de fusionner les efforts avec d’autres partenaires (sonarqube dans ce cas). Les réflexions sur la politique globale de l’open source pour penser la valorisation ont concerné aussi les réorganisations structurelles nécessaires avec le rôle support de nouveaux acteurs tels que les fondations. La fondation OSGeo, mentionnée précédemment, joue une fonction de soutien, mais aussi de garant des valeurs de la communauté pour le projet Orfeo ToolBox et plus globalement d’autres projets impliqués dans le géospatial.

Gérer ces communautés représente un coût : fait répété à plusieurs reprises lors de la journée. Que ce soit l’utilisation d’outils collaboratifs, de stockage ou de supercalculateur (HPC), l’emploi d’infrastructures et de services a un prix qu’il s’agit de prendre en considération. Pangeo a ainsi rappelé l’implication d’acteurs tels que Google ou NVidia comme «mainteneur» de projets. L’ingénieur d’étude du logiciel DMOSDK (Framework open source pour objets radio à hyper étalement de spectre (UWB) a insisté également sur la nécessité dans ces projets d’une personne support pour documenter le code, faciliter le développement collaboratif de logiciels considérés comme un commun et l’opportunité offerte également de faire valoir cette expertise (services sous forme de formation) à d’autres acteurs. François Pellegrini lors son intervention de la matinée avait aussi mis en lumière les réorganisations d’équipe au sein même des instituts de recherche associée au développement open source. Un pas franchi par exemple par l’INRIA, qui propose désormais un service de développement technologique avec des emplois d’ingénieurs, mis à disposition d’équipe pour aider aux « bonnes pratiques » et venir en appui à la pérennisation du patrimoine logiciel.

Outre la valeur financière directe créée, il a été ainsi rappelé que la valorisation de tels projets dans les milieux de l’ESRI (enseignement supérieur, recherche et innovation) concerne d’autres raisons circonstancielles. Pour les domaines scientifiques, il s’agit par exemple de faciliter la diffusion et la consolidation des savoirs dans une communauté internationale de recherche. Le logiciel MicMac (photogrammétrie) tout autant que [VHDL Tool] servent par exemple de substrat à des formations et renforcent l’articulation entre la recherche et l’enseignement supérieur et ainsi le développement de « bonnes pratiques » autour de référencement standard. À l’image du réseau mondial scientifique, les logiciels open source sont à la base d’infrastructures modulaires et de fonctionnalités transverses et interopérables créant des ponts entre différentes (sous)-disciplines. Des spécificités qui sont au cœur des enjeux actuels de l’ouverture et du partage des informations scientifiques (open science) dans un souci notamment d’optimisation et d’efficacité des projets de recherche et d’innovation et de réponse à des enjeux sociétaux.

Encadré sur quelques-uns des résultats issus de l’étude Inno³ : évaluation de la valorisation par l’open source

  • Adresser la question de la valorisation de l’Open Source consiste à prendre en considération des logiques d’écosystème et les dynamiques qui les constituent (multi-acteurs et multi-échelles). Ainsi, la valorisation d’un projet Open Source doit combiner une réflexion en termes de modèle de diffusion et de développement Open Source, de modèle économique et de gouvernance (plus ou moins ou ouverte) associée.
  • De ce fait, la valorisation par l’open source implique de travailler sur un certain nombre d’éléments en interne tels que la mise en place de licences dans une politique de gestion globale des immatériels, la définition d’une stratégie de marques favorisant potentiellement un usage distribué de la marque, l’utilisation du levier de la certification pour valoriser la qualité et des logiques de réduction de coûts marginaux par de la mutualisation et de la standardisation.
  • Cela en veillant à maintenir les dynamiques vertueuses de l’écosystème, tournées tant vers l’extérieur (organiser les relations entre les contributeurs et définition d’une gouvernance (ouverte) adaptée) que l’intérieur (par une politique globale de l’open source). Une telle action nécessite un changement de culture au sein même des organisations, mais aussi des modes d’évaluation différents pour ne pas casser ces dynamiques…

Mais cette politique globale de l’open source doit s’intégrer dans le contexte actuel du système de l’ESRI qui implique des transformations difficiles à mettre en œuvre pour différents acteurs socio-économiques tout autant que pour la communauté scientifique de par les méthodologies d’évaluation et de valorisation qui priment aujourd’hui.

2. Un système de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (ESRI) en lente transformation

Outre les aspects positifs et les leviers de valorisation pour des projets open source, les commentaires émis tout au long de la journée par l’audience rappellent l’importance de considérer la valorisation de l’open source dans le régime actuel de production des savoirs et les éléments de friction et de tensions qui en découlent.

Un premier aspect relevé concerne le modèle dominant de financement de la recherche « par projet » (3/5 ans) ne favorisant pas le maintien de logiciels à long terme. Le financement du logiciel MicMac à court terme par un projet ANR (deux ans et demi) ne répondait pas par exemple au besoin de maintenance et de pérennité du logiciel mis en concurrence par la suite avec le financement de nouveaux projets innovants.

L’intervention de SATT (sociétés d’accélération du transfert de technologies) durant les échanges a été particulièrement pertinente pour souligner les injonctions contradictoires adressées à ces structures. Entre un contexte général favorisant l’ouverture (notamment pour des raisons économiques et de libre concurrence) (Voir notamment la nouvelle directive européenne concernant les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public), les SATT se retrouvent en porte-à-faux face à la diffusion de tels projets sous licence open source. Ces logiciels remettent en cause les préoccupations d’un « retour sur investissement» associées aux logiques de valorisation « classiques ». Ces dernières se concentrent sur l’acquisition et l’exploitation de droits exclusifs (brevet, droit d’auteur).

Elles se distancient des leviers possibles de l’open source qui appellent à repenser l’usage des droits de propriété intellectuelle tout autant que des méthodologies de valorisation à implémenter. Valoriser par l’open source implique de questionner les critères même de valorisation et les métriques pertinentes à déployer. Comme le rappelait Inno³ lors de sa présentation, l’évaluation de l’open source repose sur des facteurs liés à des dynamiques communautaires vertueuses multi-échelles/acteurs (contribution, qualités, transparence, agilité) par nature complexe et difficilement mesurable. Si plusieurs mesures présentées sont explorées (estimations quantitatives et qualification des usages), elles sont difficiles à mesurer et se doivent d’être développées avec précaution afin de ne pas affaiblir le potentiel des communautés. Un exemple courant renvoie à l’ajout de barrières à l’accès de jeux de données (tels que formulaire) uniquement destinées à mesurer l’usage desdits jeux de données : si un tel mécanisme permet de fournir des données utiles en termes de valorisation, il peut aussi constituer un obstacle rédhibitoire du point de vue de la personne utilisant ces données (temps nécessaire, inscription) au point de limiter son usage (et donc in fine la valorisation du projet).

Les discussions entre participant.e.s en tant que personnes contribuant à des logiciels open source ont aussi relevé d’autres facteurs limitants. Par exemple, l’usage d’un mail professionnel pour une inscription sur une plateforme de code tel que Github peut être considéré comme une contrainte à la contribution pour plusieurs raisons pratiques citées : engorgement de mails sur les adresses professionnelles, flou entre participation bénévole à l’open source et aux missions de recherche. À l’inverse, contraindre à l’usage d’un tel mail dans un contexte professionnel permet de clarifier le statut des contributions réalisées sur des projets externes (notamment lorsque le développeur contribue à certains projets Open Source sur son temps libre) et facilite globalement le suivi, l’évaluation et le pilotage des contributions du CNES au sein de tels projets. Il s’agit là donc de trouver des méthodes d’évaluation qui prennent en compte les pratiques et/ou sont discutées et adaptées en fonction des usages.

D’autres contraintes attenantes à l’évaluation du travail de la recherche se répercutent aussi sur l’investissement des scientifiques dans le développement de tels projets. La contribution logicielle n’est souvent pas prise en considération dans l’évaluation personnelle des chercheur.e.s, ce qui peut porter préjudice pour l’obtention d’un financement ou d’un poste. Les retours des participant.e.s de la journée montrent ainsi l’importance de l’observation des pratiques et du partage d’expérience des personnes contribuant et utilisant ces logiciels pour construire des méthodes d’évaluation pertinentes à ce type de projet en prenant en compte les contraintes systémiques du cadre socio-économique actuel de l’ESRI.

L’intégration de l’open source et le déploiement de ses pleins potentiels notamment en termes de valorisation nécessitent ainsi des évolutions systémiques de l’ESRI avec un questionnement à la fois sur les modes d’organisation, les compétences à acquérir, les articulations à construire entre les diverses organisations impliquées (instituts de recherche, entreprises, etc.). Ces transformations économiques et socio-politiques trouvent aujourd’hui un levier d’action dans le plan d’action national pour une science ouverte discuté le matin même de cet évènement avec un retour d’expérience sur les politiques publiques à l’œuvre pour une science ouverte.

3. Les potentialités de l’open source encore sous-évaluées malgré le contexte favorable d’une science ouverte

Les interventions de Nathalie Gandon, déléguée aux données personnelles à l’INRA et François Pellegrini, chercheur en informatique et membre du groupe de travail logiciels libres et open source au sein du CoSo (Comité pour la Science ouverte) a permis de resituer la problématique de la valorisation par l’open source dans le contexte plus global de l’open science.

Ces dernières années, des politiques publiques pour une science ouverte/open science se sont structurées à l’échelle internationale, européenne et nationale. Un point d’inflexion important a été franchi en 2016 en Europe avec la production d’un rapport “Open Science, Open Innovation, Open to the World” avec le Programme cadre Horizon2020. En France, en juillet 2018 le lancement du CoSo et du Plan National pour une science ouverte a marqué un tournant pour faciliter l’accès et le partage aux travaux scientifiques.

Au sein du CoSo, la thématique des logiciels libres et open source représente un projet parmi beaucoup d’autres (données de la recherche, évaluation, bibliodiversité, formation et compétence). François Pellegrini en charge du pilotage de ce groupe avec Roberto Di Cosmo, en a rappelé les grandes lignes en soulignant la place de plus en plus importante du logiciel dans les travaux scientifiques aussi bien en tant qu’outil, que résultat et qu’objet de recherche en lien avec la nouvelle discipline des software studies. Les logiciels sont un élément clef pour garantir la reproductibilité des résultats de recherche et ainsi la qualité de ces travaux. Un des grands enjeux cités concerne l’uniformisation des méthodologies de valorisation en prenant en compte la citation des contributions relatives à la conception et à la production de logiciels. Un axe de travail majeur concerne aussi la valorisation et la pérennisation du patrimoine logiciel créé.

Nathalie Gandon, s’appuyant sur son expérience en termes de soutien et de valorisation de projets de recherche open source au sein de l’INRA, a témoigné quant à elle des difficultés relatives au déploiement de logiciels open source au sein des équipes de recherche. Les compétences juridiques portant plus spécifiquement sur l’open source (licences, etc.) sont souvent encore manquantes dans les institutions. Le changement de modèle économique déséquilibre également les flux financiers au sein des instituts, avec par exemple des revenus des formations revenant aux laboratoires à la place du cheminement habituel par les SATT pour des brevets logiciels.

Son intervention relevait aussi des politiques institutionnelles et nationales pour la science ouverte structurées essentiellement autour des questions prioritaires « d’accès ouvert aux publications et -autant que possible- aux données de la recherche.» (axe 1 et 2 du plan national pour une science ouverte). La charte pour le libre accès aux publications et aux données de l’INRA publiée dès 2016 était également donnée en exemple. Quand bien même ces plans d’actions mentionnent l’importance des standards et de l’interopérabilité et plus globalement la nécessaire construction d’un écosystème pour favoriser les avancées scientifiques, Nathalie Gandon soulignait que la question de l’open source n’était adressée souvent qu’à demi-mot.

Les modalités de la construction et de la mise en oeuvre d’un tel écosystème de l’ESRI auraient tout intérêt à puiser dans les expériences déjà à l’oeuvre dans les communautés internationales de développement de logiciels open source en science. L’ensemble de cette journée par les retours d’expérience et la richesse des échanges entre participant.e.s illustre les potentialités de tels projets sur la base d’une évolution de gouvernance vers des modèles plus ouverts. Des enseignements ont pu aussi être tirés lors de cet évènement. Le socle contractuel à instaurer et les méthodologies de valorisation à déployer ouvrent des pistes de recherche au coeur de l’observation et de la compréhension des dynamiques communautaires sans pour autant affaiblir leur portée.

Avec ce substrat, l’open science a moyen de développer son plein potentiel socio-économique et éthique en se nourrissant des expérimentations déjà présentes en recherche tout en s’inspirant d’autres cas d’études (open data, open source, communs). Ces initiatives ont alors pour dénominateur commun de repenser les modèles politiques et économiques en plaçant la priorité sur le maintien et la pérennité de communautés saines et résilientes nourries par la circulation des savoirs qu’elles produisent et enrichissent.

Messages clefs

La journée du CNES « Comment valoriser par l’open source ?» et les réflexions qui s’y sont déroulées ont permis de faire ressortir quelques éléments clefs voués à faciliter la valorisation par l’open source et susceptibles de nourrir des croisements fertiles avec la dynamique actuelle en matière de science ouverte. Les voici résumés en 4 points. Les journées nationales de la science ouverte du 18 et 19 novembre avec la tenue d’un atelier Logiciels et science ouverte : enjeux et opportunités pourraient être l’occasion d’affiner ces axes :

  1. Valoriser par l’open source nécessite de prendre de la hauteur, d’opérer un changement de vision et de logique par rapport au mode de valorisation habituel. Évaluer le plein potentiel de ces projets implique de prendre en considération des dynamiques multi-échelles (vision macro dépassant le périmètre usuel de l’institut de recherche). L’open source tire sa force de dynamiques de contribution et mutualisation qu’il s’agit de faciliter et maintenir tout en trouvant des mesures de valorisation adaptées aux logiques écosystémiques.
  2. L’open source répond au besoin de repenser les relations privé/public en les insérant dans un réseau d’acteurs aux priorités différentes (recherche, économique, etc.) coopérant pour la réussite du projet. Le succès escompté implique de mettre en place des règles de gouvernance soutenues par un cadre contractuel discuté et établi en amont du projet puis durant ses étapes de développement, ce qu’offrent pleinement les outils contractuels de l’open source. Mettre en place un tel cadre et partager ces « bonnes pratiques » apparaissent comme des catalyseurs afin de mieux articuler le rôle des parties prenantes dans différentes phases et potentialiser les bénéfices propres et communs à chaque secteur (instituts de recherche, entreprises partenaires, etc.)
  3. La valorisation par l’open source se base sur le développement d’une évaluation centrée sur la vitalité d’un écosystème. Aux mesures usuelles économiques et technologiques, s’ajoutent des éléments de valeur ancrés dans des dynamiques contributives saines. Tenir compte de valeurs spécifiques aux établissements de recherche et aux communautés amène à évaluer des usages, complexes par nature et différemment quantifiables. Valoriser par l’open source nécessite une attention toute particulière au développement d’indicateurs et de métriques se construisant avec les communautés et acteurs concernés. Il s’agit en premier lieu de comprendre les raisons des usages existants et de les faire évoluer, si besoin est, vers d’autres pratiques plus adaptées et pertinentes pour la valorisation tout autant que pour la communauté en elle-même qui gagne en réflexivité sur ces propres usages.
  4. Les politiques publiques pour une science ouverte constituent un tremplin pour l’adoption de l’open source au sein des instituts de recherche. Il semble néanmoins que les opportunités croisées entre ces deux domaines ne soient pas encore exploitées à leur juste mesure. Les axes principaux du plan national de la science ouverte mettent en priorité les questions de l’accès aux publications et aux données. Si les logiciels libres et open source font partie d’une thématique d’un groupe de travail du CoSO en qualité d’« outil », « objet de recherche » ou « résultat au service de la recherche » (qualité, reproductibilité, avancée scientifique), il semble aussi que la généralisation de l’open source participe à l’émergence nécessaire des infrastructures (ouvertes) de la science ouverte (édition, partage des données). Penser la science ouverte à l’aune des dynamiques open source en s’appuyant sur le renversement de logique et de culture que les logiciels libres et open source matérialisent est aussi un moyen de questionner les modalités économiques et de gouvernance de la production des savoirs de la recherche publique. Toutes et tous, acteurs de la recherche ou industriels, acteurs privés ou publics, organisations et individus, gagneront à l’émergence et à la gouvernance partagée d’une telle infrastructure ouverte produite par et pour la recherche. Un chantier encore à développer…