Retour sur EOLE 2019 – Panel 3 : Organisation et gouvernance d’un commun numérique

1. Pérennité et structure juridique : deux défis majeurs pour le secteur public sur les projets de Logiciels libres et Open SourceMalcolm Bain, Avocat id Law Partners

Une gouvernance ouverte et adaptée spécifiquement à un projet est élément déterminant de la durabilité d’un commun. En effet, bon nombre de communs numériques ont une durée de vie relativement faible, du fait qu’ils sont pensés dans une logique court-termiste, avec un nombre restreint de contributeurs. Fort de ce constat, Malcolm nous a présenté les différentes étapes à suivre pour parvenir à mettre en place une gouvernance ouverte, partagée, et adéquate au sein d’un projet de commun durable.

Il s’agit en premier lieu de déterminer quelle structure juridique (association, fondation, coopérative, consortium, etc.) est la mieux adaptée pour la gouvernance d’un commun, pour ensuite décider quelles seront ses fonctions principales. À ce stade, il faudra également détailler les modalités de la prise de décision (économique, technique, légale, et au niveau de la communauté) au sein la structure, et définir les entités à l’origine de la décision (bureau, conseil d’administration, groupes de travail, comités, etc.). Plusieurs caractéristiques sont ensuite indispensables pour que la gouvernance du commun puisse être efficace : la participation de la communauté dans le processus décisionnel, la clarté et la simplicité de la gouvernance, la flexibilité ou encore la transparence de la structure sont ainsi les critères clés d’une bonne gouvernance. Enfin, les aspects de management légal, comme l’attribution d’une marque, la gestion des contributions ou le choix de la licence pour le code seront autant d’éléments à clarifier pour parvenir à établir une gouvernance équilibrée du projet.

Sur cette base, la ville de Barcelone a pu établir une gouvernance ouverte et efficace pour le projet DECIDIM en proposant notamment des modalités de participation adaptées pour chaque type de contribution. Les développeurs du projet sont ainsi liés par un contrat public avec la ville de Barcelone, les acteurs du support de la plateforme agissent sur la base du volontariat, tandis que les autres villes désirant reprendre le projet à leur compte s’engagent à remplir les conditions du « contrat social » proposé par DECIDIM. Ce mode de gouvernance permet ainsi au projet de pouvoir continuer a exister localement, tout en étant réutilisable par d’autres organisations à l’avenir.

Les points clés à retenir :

  • La création d’un commun nécessite d’organiser sa gouvernance en fonction des spécificités du projet
  • En aval du projet plusieurs éléments de réflexion sont à prendre en compte : structure juridique de l’organisation, modalité de prise de décision flexible et transparente, caractéristiques propres à la communauté, management légal, etc.
  • La création de la plateforme de participation citoyenne DECIDIM dispose d’une gouvernance documentée qui permet au projet de grandir tout en permettant sa réutilisation par des entités tierces

2. Open Data et communsCatherine Dewailly, Juriste et déléguée à la protection des données, GHT Artois Ternois

Le régime de l’Open data public et le modèle des Communs sont deux thématiques proches qui méritent d’être mises en perspective pour mieux cerner leurs points de divergence et de convergence.

Tout d’abord le régime de l’Open data public et le modèle des communs divergent notamment sur la notion de gouvernance. En effet la définition du commun implique qu’il soit soumis à une gouvernance ouverte et partagée, tandis que les entités à l’origine de l’Open data institutionnel fonctionnent généralement avec un processus de décision descendant impulsé par l’état.

Autre point de divergence, le droit de réutilisation : le régime actuel de l’Open data, issu de la directive européenne PSI de 2013 (2013/37/UE), prévoit que les jeux de données sont réutilisables pour des finalités commerciales ou non. Cela permet donc à un ré-utilisateur de s’attribuer les bénéfices commerciaux issus de la valeur ajoutée qu’il a produite grâce aux données ouvertes sans reverser ces bénéfices à la communauté, or la logique des communs permet de proscrire toute forme d’enclosure via les licences dites « share alike ».

Toutefois de nombreux points de contacts apparaissent entre l’Open data et la logique de communs, le premier reprenant la logique du second en l’exacerbant. Ainsi la nouvelle directive PSI (2019/1024/UE) se rapproche de la finalité du commun par l’adoption de plusieurs mesures phares. Parmi celles-ci, l’utilisation de licences types à l’échelle de l’Union, l’ouverture des données issues de la recherche publique ou encore l’encouragement au partage de données en temps réel.

Le régime public de l’Open data tel qu’il existe aujourd’hui est encore perfectible sur de nombreux aspects. Les procédures d’accès aux documents administratifs gagneraient à être plus répondantes, et les portails uniques de données favoriseraient la visibilité et la gestion des jeux de données. Enfin la question du contrôle de qualité des jeux de données est ici présenté comme un défi majeur pour le succès du mouvement de l’Open data. À l’heure actuelle un certain flou juridique entoure l’encadrement de la diffusion de données, ce pourquoi il serait nécessaire de prévoir, au sein même des organisations publiques, une entité chargée contrôler l’authenticité des jeux de données.

Pour conclure, les logiques de communs et celle de l’Open data reposent sur les mêmes logiques vertueuses de réutilisation : plus le partage des données est important, plus l’utilisation de ces données est pertinente et va contribuer à créer des richesses communes, bénéfiques à l’économie de marché et à l’économie de la connaissance.

Les points clés à retenir :

  • Le modèle des communs et le régime de l’Open data divergent sur deux points principaux : la gouvernance, et les facultés de réutilisation attribuées à l’utilisateur des jeux de données
  • La nouvelle directive PSI rapproche davantage le régime public de l’Open data avec « l’esprit des communs » par un certain nombre de mesures concrètes : diffusion de données en temps réel, identification des données de référence, mise à disposition des travaux liés à la recherche publique, etc.
  • Plusieurs axes de travail sont encore à mener pour parfaire le dispositif d’Open data existant : mesure plus forte de l’authenticité des données produites par le secteur public, centralisation des portails, accompagnement des collectivités vers le passage à l’Open data

3. Développement des logiciels et de la connaissance en Open source : l’exemple d’Open Food NetworkRachel Arnould, membre active de Open Food Network (France)

Open Food Network est une organisation née en Australie, et qui propose à l’heure actuelle dans de nombreux pays dont la France, une plateforme numérique pour les opérateurs de circuits courts. Cette plateforme est une place de marché autant qu’un outil de gestion commerciale pour l’ensemble de ces opérateurs. Elle a la particularité d’être construite et maintenue grâce à l’ensemble des parties prenantes du projet.

Avec l’essor du projet, l’enjeu principal fut de fournir et maintenir une plateforme de qualité, tout en respectant des aspirations des membres impliqués dans le projet Open Food Network. Pour ce faire, l’association a dû réaliser un important travail pour définir le cadre légal et organisationnel de la distribution en circuit court. Ce travail a par exemple permis de déterminer les modèles de transaction autorisés en France. L’association travaille également sur le sujet de l‘interopérabilité entre plateformes et outils œuvrant pour les circuits courts.

Concernant le mode de gouvernance, l’association a d’abord entamé une réflexion pour faire évoluer sa structure juridique, en créant une SCIC (la SCIC Coopcircuits dont les statuts sont en cours de dépôt) doublée d’une association aux fonctions distinctes et complémentaires. De plus, l’association a intégré les règles de gouvernance autogérées et décentralisé autour de trois points clés : un code de conduite basé sur la confiance entre les acteurs ; la mise en commun des revenus tirés de l’activité et destinés aux évolutions du logiciel ; et un processus décisionnel en concordance avec l’ensemble des structures impliquées en France et à l’international dans Open Food Network.

Les points clés à retenir :

  • Open Food Network fournit aux acteurs des circuits courts les moyens de leur indépendance technologique
  • Pour intégrer le projet durablement en France, l’organisation doit prendre en compte les spécificités juridiques et réglementaires du territoire
  • La gouvernance autour du projet Open Food Network est organisée autour de 3 outils : The pledge (code de conduite applicable à chaque organisation et basé sur la confiance), the pot (la mise en commun des ressources), the pipe (chaque structure est associée au processus décisionnel de l’organisation globale).

Les autres restitutions de cette journée

À la suite de ce premier panel, découvrez également les autres interventions de cette journée axée Enjeux juridiques des communs numériques.

A propos de EOLE

Cycle de conférences annuelles à rayonnement international, l’European Open Source & Free Software Law Event (EOLE) a pour ambition de favoriser la mutualisation et la diffusion de connaissances juridiques relatives aux licences ouvertes ainsi que le développement et la promotion de bonnes pratiques. Initiative née en 2008 des besoins des praticiens du domaine, EOLE a pour objectif de développer une doctrine juridique dédiée à l’open source, avec une attention particulière à la délivrance d’informations neutres et de qualités. Cette année, EOLE a pris place à Marseille le 16 Octobre.

Nécessités pour certains, alternative pour d’autres, les « communs numériques » deviennent le nouvel eldorado dans une société parfois trop technologique et pas assez humaine. Ce phénomène croissant transforme profondément les pratiques et usages de nombreux domaines : santé, mobilité, spatial, etc.