Publication

Decidim, un commun numérique pour la participation citoyenne

Collaboration entre inno³ et le Labo Société Numérique

Ce contenu à originalement été publié sur le Laboratoire Société Numérique de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires le 11 septembre 2019 par Caroline Corbal, Benjamin Jean et Vincent Bachelet. Vous pouvez retrouver la publication originelle ici.

Lancé en 2017, Decidim (signifie « nous décidons » en catalan) est une plateforme numérique libre et ouverte pour la participation démocratique, maintenue et développée par une communauté d’utilisateurs. Elle est également diffusée selon des termes qui permettent son usage, sa copie et sa modification par tous.

Portrait de Decidim

Sa création a été impulsée par la Mairie de Barcelone, désireuse de disposer d’une infrastructure numérique lui permettant de co-construire son action, avec les citoyens et à tous les échelons territoriaux. Aujourd’hui, toute organisation ou groupe – gouvernement, collectivité locale, association, collectif citoyen, université, entreprise, coopérative, etc. – peut librement déployer et configurer sa propre plateforme en l’adaptant à ses besoins. Decidim peut ainsi être utilisé aussi bien pour créer collectivement des plans d’action, consulter le public, gérer une communauté, organiser des budgets participatifs, etc.

Decidim n’est pas qu’une plateforme numérique : c’est avant tout un projet social et politique, construit sur un socle juridique robuste en réponse aux principales crises contemporaines. Chercheurs, responsables politiques et citoyens ont bâti ce socle commun dans une démarche transdisciplinaire, avec la volonté de proposer un cadre dans lequel la plateforme numérique pourrait s’architecturer de façon cohérente. Dès le départ, il a été décidé que Decidim serait un logiciel libre, dont le code source et l’ensemble des informations nécessaires à son usage seraient rendus publics.

Ainsi, les acteurs à l’origine du projet ont, dès son origine, conçu et organisé le projet afin d’assurer sa pérennité en combinant une diffusion Open Source et une gouvernance ouverte et participative.

Decidim s’affirme aujourd’hui comme un véritable commun numérique. Preuve en est, un nombre croissant d’acteurs publics utilisent Decidim à l’international (en France, en Finlande, en Belgique, au Mexique, etc.) et l’adaptent à leurs usages. Ils sont également séduits par la grande modularité de la plateforme numérique et la palette de fonctionnalités participatives proposées. Ainsi, en France, plus d’une trentaine d’organisations utilisent Decidim pour des processus participatifs ponctuels, récurrents ou permanents d’ampleurs variables. L’ensemble de ces spécificités ainsi que la rapidité avec laquelle le projet s’est imposé en font un objet d’analyse particulièrement intéressant : le modèle de commun numérique pour répondre à des défis sociétaux nouveaux, la mutualisation dans la conception d’une solution qui évolue au gré de la diversité des besoins de ses utilisateurs, le rôle de l’acteur public dans une gouvernance collective, etc.

Le commun numérique et sa ressource, infographie produite par inno³ et le Collectif BAM dans le cadre de NEC21, à retrouver ici.

Un cadre innovant adapté à un projet technopolitique ambitieux

La volonté d’inventer de nouveaux modèles démocratiques

Saisir le potentiel du numérique pour expérimenter de nouvelles formes de participation et de collaboration

En mai 2015, la liste constituée par le parti politique Barcelona en Comu (Barcelone en Commun) a remporté les élections municipales avec plus de 25% des voix et Ada Colau, première candidate de la liste, est devenue maire de Barcelone. Dans un contexte de crise, la campagne menée présentait la double caractéristique de s’être concentrée sur des problématiques ultra-localisées et de dépasser dès le départ le périmètre de la ville pour créer des liens avec les autres espaces connexes, soulignant ainsi le besoin de disposer de moyens efficaces, notamment numériques, pour faciliter l’échange d’information à une échelle multi-niveaux. Une fois au pouvoir, la municipalité a souhaité renforcer cette dynamique collaborative en ouvrant à tous la construction du Plan d’Action Municipal de la ville, souhaitant mobiliser pleinement les opportunités offertes par le numérique pour créer du lien dans une logique de réseaux. C’est de là qu’est né progressivement le projet Decidim.

En parallèle, un autre terreau a été propice à l’émergence de Decidim et fortement constitutif de son identité : celui de la reconnaissance croissante de nouveaux modèles d’organisation, de production et de partage des connaissances, propres au monde numérique. Ces modèles théorisés et expérimentés par certaines cultures de hackers, les communautés numériques et les acteurs des communs inspirent fortement l’équipe de la Mairie de Barcelone. Cette démarche centrée sur l’humain s’est ainsi naturellement imposée à Barcelone, complémentaire à l’axe affirmé pris par la collectivité en matière de Smart City, combinant une forte composante numérique et d’Internet des objets.

C’est au croisement de ces deux phénomènes majeurs (crise de la démocratie représentative et défiance face aux géants du numérique) que Decidim est né, avec la volonté de proposer de nouveaux modèles démocratiques grâce à l’intelligence collective.

Adopter une approche numérique ouverte basée sur les besoins

Conçu comme un préalable nécessaire pour répondre à ses ambitions, Barcelone a pensé son projet en adoptant une approche numérique ouverte dès l’origine. Les outils et modalités de développement se sont imposés naturellement.

  1. Les besoins, fonctionnels et non fonctionnels, exprimés par l’équipe municipale étaient principalement de disposer d’un outil qui soit : inclusif, conçu de façon à accueillir tous les types de publics; modulaire et ajustable pour faciliter sa mise en œuvre par les différents échelons locaux; standardisé pour faciliter la communication et la réutilisation des informations; transparent pour donner confiance tout au long des processus participatifs; et suffisamment souple pour combiner les dispositifs de participation numérique et physique.
  2. L’équipe s’est projetée sur l’utilisation de différents outils numériques déjà utilisés dans plusieurs pays européens (Royaume-Uni, Islande, Pays Basque) et a testé l’outil Consul utilisé par la ville de Madrid, n’excluant pas de contribuer à un outil déjà existant pour y apporter les fonctionnalités manquantes à son propre usage. Toutefois, très rapidement, les outils existants ont été considérés comme insuffisants pour couvrir les besoins minimaux identifiés comme nécessaires pour répondre aux finalités d’un tel dispositif participatif.
  3. C’est sur cette base que la Mairie de Barcelone a décidé d’investir plusieurs millions d’euros pour développer une plateforme correspondant à ses besoins, consciente qu’une telle démarche était nécessaire pour atteindre ses objectifs de manière pérenne. Decidim est donc un projet né en réponse à des besoins précis, exprimés et analysés, ce qui a eu pour avantage de faciliter son adoption par les utilisateurs une fois mis à disposition.
  4. Toujours dans une approche visant à assurer la pérennité du projet, le marché public publié par la Mairie a été découpé de sorte à faire appel à plusieurs PME locales afin qu’elles collaborent en écosystème pour développer la plateforme. Ce choix n’est pas anodin, car il présente l’avantage de ne pas faire reposer le développement du logiciel sur un seul prestataire – créant un décalage avec les autres prestataires non retenus qui aurait pu limiter l’implication de ces derniers – et d’inscrire un mode de collaboration by design du projet.

Un commun numérique pour une ressource éthique au service de l’intérêt général

Alors qu’elle aurait parfaitement pu s’orienter vers les solutions évolutives proposées par certains éditeurs de logiciels, voire confier aux acteurs économiques la responsabilité commercialiser et de faire évoluer la solution au gré des commandes, Barcelone est restée particulièrement impliquée dans le projet. Une telle présence présentait un intérêt double : celui de s’assurer de l’adéquation de la solution avec ses propres besoins et ceux de ses partenaires, celui ensuite de s’assurer que le développement de la plateforme traduise à la fois l’intérêt collectif des parties prenantes (publiques et privées) ainsi que l’intérêt général recherché par Barcelone.

Penser le projet au bénéfice d’une communauté

Dès la préparation du marché public, un autre choix fondamental est fait : celui de faire de Decidim un logiciel libre conçu comme un commun numérique (gouverné collectivement par des règles qui lui assurent son caractère collectif et partagé). En effet, en introduction à l’exposé des conditions techniques devant être réunies par la plateforme qu’elle désire mettre en place, la municipalité de Barcelone énonce que « seules les plateformes basées sur les logiciels libres, ouvertes, transparentes, sécurisées et gérées comme des publics-communs offrent les garanties permettant de satisfaire à [ses]attentes et de construire des processus démocratiques de meilleure qualité. Ces mêmes préoccupations ont été traduites dans le cadre du marché récemment publié par Barcelone afin de poursuivre le développement de l’outil.

Tout d’abord, Decidim se compose d’un ensemble de ressources numériques complémentaires, toutes diffusées sous une licence libre et ouverte. Aujourd’hui, Decidim est porté par une communauté d’acteurs hétérogènes qui se compose aussi bien de collectivités locales – à commencer par la Mairie de Barcelone, mais également toutes les autres collectivités espagnoles ou non qui utilisent et contribuent à Decidim –, des gouvernements, d’autres acteurs publics, des entreprises, des associations, les citoyens, etc. Cette communauté s’organise autour de règles de gouvernance communément acceptées afin de soutenir et de pérenniser le développement des ressources qui composent Decidim. Elles sont transparentes et rendues publiques sur de multiples supports en ligne.

  • le logiciel en tant que tel et ses spécifications sont disponibles sous licence GNU Affero GPL ;
  • la documentation produite pour accompagner son installation, son administration, son utilisation ;
  • les éléments de design qui créent et rappellent l’identité du projet, aident les utilisateurs à s’orienter, contribuent à la dissémination du projet à l’extérieur ;
  • les jeux de données ;
  • les supports de formation pour accompagner la prise en main du logiciel.

Impliquer l’acteur public au bénéfice de l’intérêt général

Dans ce modèle, l’implication des acteurs publics est cruciale pour assurer que l’intérêt général, qui caractérise les actions menées par des tels acteurs, soit bien présent – voire au centre – du développement et de l’évolution de l’outil. Une telle participation et une telle mutualisation de moyens entre une diversité d’acteurs publics et privés ne sont néanmoins possibles qu’en raison du caractère libre et Open Source du projet, assurant par cela une concurrence libre et saine au profit des acteurs économiques. Les principaux bénéfices à concevoir Decidim comme un commun numérique sont de :

  1. S’assurer que le futur de Decidim ne repose pas que sur une minorité d’acteurs ;
  2. Garantir que Decidim évolue en phase avec les besoins exprimés par ses utilisateurs ;
  3. Améliorer la qualité de l’outil en accueillant les contributions d’une communauté aux compétences hétérogènes ;
  4. Donner confiance dans le projet en donnant des garanties de transparence et d’inclusion ;
  5. Encourager sa large diffusion et adoption.

Ses préoccupations se retrouvent dans tous les projets de communs numériques dans lesquels s’implique l’acteur public. Afin d’accompagner ces réflexions, inno³ et le Laboratoire Société Numérique ont développé une doctrine juridique relative à la participation de l’acteur public au sein des communs numériques.

Une infrastructure numérique modulaire pour des dispositifs participatifs « sur-mesure »

Une multitude de cas d’usages envisageables

Decidim peut être utilisé par n’importe quel type d’organisation ou groupe et accueillir un nombre de participants très variable.

La modularité pour des démarches uniques, en réponse aux besoins exprimés

Lors de l’installation et du paramétrage de sa propre plateforme Decidim, une organisation peut choisir de configurer plusieurs grands types d’espaces participatifs. Les principaux espaces sont ainsi des « Assemblées » (espaces permanents, par exemple, pour organiser la vie participative d’une organisation durablement), des « Processus participatifs » (espaces structurés en étapes successives et / ou parallèles, par exemple utilisés dans le cadre d’un budget participatif), des « Initiatives » (espaces dédiés à l’organisation d’initiatives collectives) et des « Consultations » (espaces utilisés pour poser des questions précises). Ces différents types d’espaces peuvent être rendus plus ou moins publics ou privés.

Une fois ces choix effectués, il est possible de construire des processus participatifs sur mesure. Au sein de chaque espace peuvent être combinées plusieurs fonctionnalités participatives. Des centaines d’options peuvent dès lors être envisagées.

Une palette de fonctionnalités participatives à combiner

Les fonctionnalités participatives (conçues comme des modules combinables, activables et désactivables) couvrent de nombreux besoins : permettre aux participants de formuler des propositions, partager des commentaires, de voter (selon différentes méthodes de vote), d’accéder aux résultats une fois les propositions analysées (leur acceptation ou rejet officiels doivent être publiés – plusieurs propositions peuvent aboutir à un résultat commun), de suivre la mise en œuvre des décisions prises de manière transparente et progressive, d’organiser des rencontres physiques (et de publier les contenus produits pendants celles-ci et d’assurer leur suivi en ligne), de co-rédiger des textes, etc.

Les organisations disposent également d’outils pour animer leur communauté, par exemple en organisant des conférences, en animant un blog et en créant des pages d’information, en envoyant des notifications de manière personnalisée ainsi que des newsletters, ou encore en partageant des enquêtes.

Cet enrichissement permanent de Decidim par sa communauté est un des grands bénéfices résultant de sa nature de commun numérique : la liste de fonctionnalités telles que proposées aujourd’hui n’est en rien définitive et limitative (toute fonctionnalité apparaissant manquante dans le cadre d’un usage peut être librement développée) et chaque fonctionnalité peut elle-même évoluer ou être complétée si elle ne répond pas au besoin.

Caractéristiques majeures de Decidim

Outre la modularité et la variété des fonctionnalités proposées, Decidim présente un ensemble d’orientations clés qui se traduisent dans son architecture fonctionnelle.

Complémentarité entre physique et numérique

Convaincue que le numérique n’a pas vocation à supplanter les échanges physiques, mais plutôt à les compléter et en étendre l’impact, l’équipe fondatrice de Decidim a fait le choix d’articuler finement ces deux dimensions de manière fonctionnelle. Sur plusieurs niveaux, la plateforme permet de faire correspondre des temps d’échanges physiques et une participation en ligne dans une logique de transparence, d’égalité d’accès à l’information et d’opportunité de participation, et de collaboration. Ainsi, des propositions partagées par les participants peuvent être liées à une ou plusieurs rencontres physiques, elles-mêmes ayant été l’occasion de publier des minutes et comptes-rendus complets à la discrétion des contributeurs.

Ces fonctionnalités sont renforcées par le caractère social et ludique de la plateforme, dont le but est de favoriser la participation en la proposant sous un format engageant et divertissant.

Responsabilité et suivi des résultats

Tout processus participatif implique la transparence des décisions qui en résultent et un suivi dans la mise en œuvre des actions. Decidim propose à ses utilisateurs plusieurs fonctionnalités pour appliquer concrètement ces principes méthodologiques, nécessaires pour donner confiance dans le processus et créer un engagement récurrent. Des modules de résultats permettent ainsi de notifier les contributeurs du traitement (dont l’issue est favorable ou non) des propositions qu’ils ont effectuées. Il est également prévu d’informer les utilisateurs clairement et en détail sur la mise en œuvre des décisions prises et d’interagir avec les équipes en charge de la réalisation.

La modularité portée dans ses composantes juridiques

L’un des principaux atouts de Decidim est la grande modularité qu’il offre du fait du partage de toutes ses composantes sous licence libres. Ainsi, le code du logiciel est diffusé sous licence AGPL v3, tandis que les autres contenus le sont sous licence Creative Commons By-SA et les bases de données sous Open Database License (ODbL). Ces trois licences libres sont dites « copyleft », c’est-à-dire qu’elles autorisent l’usage, la copie, la modification et la redistribution des œuvres qu’elles protègent, à condition que les dérivées ainsi créées soient partagées selon les mêmes modalités. Cela permet ainsi aux utilisateurs de développer des modules répondant parfaitement à leurs besoins, et d’en faire ensuite bénéficier l’ensemble de la communauté utilisatrice. De ce fait, plus les utilisateurs adaptent Decidim à leurs usages, plus le logiciel propose des possibilités de modularité, qui pourront être déterminantes dans son utilisation par de nouveaux acteurs, et donc potentiellement facteurs de nouveau enrichissements. Le choix de licences particulièrement contraignantes en termes de partage vient donc traduire en pratique la volonté de faire de Decidim un commun numérique, en engageant un cercle vertueux par lequel les bénéficiaires de la ressource deviennent en retour ses mainteneurs. Il se justifie également par la nature du commun qu’est Decidim : application de démocratie participative se voulant la plus modulaire et adaptable possible, son développement et son maintien comme commun numérique passe à la fois par une dissémination importante, mais aussi par un enrichissement de la part de ses utilisateurs.

Par le jeu de ces licences, plus les utilisateurs adaptent Decidim à leurs usages, plus le logiciel offre des possibilités de modularité, qui pourront être déterminantes dans son utilisation par de nouveaux acteurs, et donc potentiellement facteur de nouveau enrichissements.

Une gouvernance ouverte pour assurer la pérennité du projet

Des règles de gouvernance participatives et transparentes

La communauté qui contribue à la croissance de Decidim est hétérogène : des collectivités locales – dont la Mairie de Barcelone qui a impulsé le projet, des institutions publiques, des entreprises, des citoyens. Une telle hétérogénéité implique l’adoption d’un cadre de gouvernance efficace et transparent, résultant d’un travail collaboratif.

En 2019, la communauté a débattu (hors ligne et en ligne) de la pertinence de créer une structure juridique indépendante pour orchestrer le développement du projet, coordonner ses développements en mutualisant davantage. Après avoir acté collectivement de la pertinence de bénéficier d’une telle structure, la communauté a utilisé la plateforme Metadecidim pour rédiger collaborativement les statuts de l’association et planifier la première Assemblée Général constitutive.

Une proposition de statuts a été soumise au vote le 16 février 2019, et adoptée via une procédure en ligne. Ainsi, une association a été constituée pour structurer la communauté. Les statuts de cette association organisent ainsi une structure forte, reposant sur l’assemblée générale, le comité de coordination, les comités thématiques, le comité de garantie démocratique et le bureau. Les pouvoirs et règles de fonctionnement internes à chacun de ces organes sont précisément détaillés au sein de ces statuts. Cela permet de fluidifier le fonctionnement de l’association, mais également de rassurer de potentiels futurs membres. Toutefois, la communauté ne se limite pas à cette seule association, et il existe à ses côtés d’autres communautés. Par exemple, la Lab Team rassemble les chercheurs de plusieurs universités pour produire des contenus scientifiques et disséminer des connaissances., alors qu’un groupe de coordination réunissant plusieurs collectivités utilisatrices organise des partages d’expériences ainsi que des réflexions sur la pérennité (notamment financière) de Decidim. La communauté Decidim est donc elle-même composée d’un ensemble de communautés, qui se fédèrent à la fois pour faire évoluer la plateforme numérique, mais également porter le projet Decidim en tant que tel. Pour organiser la collaboration entre des acteurs aux intérêts et aux compétences si variables, plusieurs outils ont été créés et se complètent.

Metadecidim : l’espace numérique où se décide le futur de Decidim

A l’instar de nombreux projets Open Source, le projet Decidim utilise sa propre plateforme pour organiser sa communauté. La plateforme Metadecidim est ainsi l’espace numérique où convergent les différentes communautés contributrices pour prendre les décisions concernant le futur du projet, y compris du point de vue technique. Cette plateforme rallie les utilisateurs de Decidim au-delà de l’association éponyme.

Sur cette plateforme, il est notamment possible de faire remonter des bugs, de s’entraider entre utilisateurs, et de proposer de nouvelles fonctionnalités. Cette dernière possibilité est particulièrement intéressante, en ce qu’elle traduit concrètement la volonté de Decidim de progresser en fonction de l’évolution des besoins des utilisateurs. La plateforme permet également de décider collectivement des développements à prioriser concernant le logiciel, avant de les transmettre aux développeurs via GitHub.

La plateforme Metadecidim est également le lieu où se décident les évolutions de la gouvernance de Decidim et où s’organisent les temps forts de la communauté (évènements, etc.). De manière complémentaire à la plateforme numérique Metadecidim – qui demeure le lieu de référence pour comprendre l’historique du projet et participer l’écriture des prochaines lignes – plusieurs dispositifs en ligne et hors ligne animent la communauté Decidim. SOM Decidim offre l’opportunité à la communauté de se rencontrer physiquement de façon régulière (les résultats des discussions produites sont partagés systématiquement sur la plateforme numérique pour assurer une circulation de l’information fluide et homogène). Des évènements (les Decidim Jam) sont organisés annuellement pour réunir la communauté autour du futur du projet. Un groupe Telegram permet d’être informé de l’actualité de la plateforme et des prochaines rencontres, tout comme sur les réseaux sociaux.

Concernant l’organisation de la collaboration d’un point de vue technique (code source), les développeurs contribuent au développement du projet sur la plateforme de dépôt de code Github, assurant le pont entre les orientations prises sur la plateforme Decidim et leur réalisation effective.

Le contrat social, pour encadrer le développement du projet

Afin d’encadrer le développement de la plateforme en accord avec le projet politique fondateur de Decidim, ses créateurs ont rédigé un contrat social qu’ils décrivent comme « code pour des garanties démocratiques et une collaboration ouverte ». Ce contrat social propose un socle de principes et de valeurs que les membres de la communauté s’engagent à respecter dans le cadre de leur implication dans le développement du projet. Lorsqu’une organisation choisit d’utiliser Decidim, elle peut faire le choix de contraindre les participants au contrat social en l’imposant via les Conditions Générales d’Utilisation (CGU) de la plateforme. Elles ne sont toutefois pas contraintes ni de respecter ce contrat social dans le cadre de leur utilisation, ni de l’imposer aux utilisateurs : le logiciel étant mis à disposition sous une licence libre AGPL 3.0, elles sont libres d’utiliser le logiciel sans être contraintes par le code social. À l’inverse, toute personne qui souhaite rejoindre la « communauté Decidim » et contribuer au développement du logiciel doit adhérer au contrat social.

Contrat social de Decidim : quelles garanties impose-t-il ?

Ce document propose à la communauté des engagements en matière d’ouverture du code (Decidim demeurera toujours un logiciel libre), des contenus produits (mis à disposition sous une licence CC BY-SA), et des données récoltées (publiées sous la licence ODbL), ainsi que des impératifs en matière de standardisation et d’interopérabilité pour faciliter la réutilisation des éléments produits. Le Code social contient également des engagements en matière de transparence, traçabilité et intégrité des « documents, propositions, débats, décisions et tout autre objet, mécanisme ou processus participatifs » qui doivent être assurés par « la plateforme et ses configurations, ses développements, déploiements et utilisations actuels et futurs ».

Le contrat social invite à agir impérativement en faveur de l’égalité d’accès et d’opportunité de participation sur la plateforme, en gommant toute forme de discrimination à l’accès et à l’usage des fonctionnalités. Il encourage également à la production d’indicateurs qualitatifs à partir des contenus générés, accompagnés de la publication des méthodes qui permettent de les générer. Des dispositions en matière de confidentialité des données visent à protéger les participants. Afin d’instaurer une relation de confiance et d’engagement des participants dans les processus participatifs mis en œuvre via Decidim, le Contrat Social propose des engagements méthodologiques en matière de responsabilité et de suivi des résultats qui doivent être traduits fonctionnellement dans la plateforme (par exemple, en matière de traitement des propositions, de notification des décisions prises, de suivi progressif de la mise en œuvre des décisions prises, etc.).

Enfin, Decidim se veut collaboratif by design en consacrant un principe d’amélioration permanente de la plateforme pour s’adapter aux besoins des utilisateurs, notamment par une collaboration interinstitutionnelle efficace, inclusive et suivie.

Vers une gouvernance européenne ?

L’impulsion politique de Barcelone : un véritable catalyseur pour Decidim

Il ne fait aucun doute que l’impulsion donnée par la Mairie de Barcelone est l’un des facteurs majeurs du succès du projet et en particulier de la rapidité de son développement. Ce soutien s’est matérialisé en premier lieu sous la forme du financement de la plateforme en tant que telle (le développement de la première version est encore en cours et financé). Le soutien de la Mairie de Barcelone s’est aussi matérialisé par la mise à disposition de moyens pour expérimenter concrètement le projet à l’échelle locale (par des formations, l’organisation de rencontres physiques, le déploiement d’une stratégie de communication, la montée en compétence et la mobilisation d’équipes dédiées au déploiements du processus, etc.).

Bénéficiant d’un portage politique fort, le projet s’est ainsi déployé avec une certaine vélocité, dépassant dès le départ le seul territoire barcelonais grâce à la volonté de collaboration inter collectivités territoriales.

Entre impulsion et inertie, la nécessité de s’autonomiser et de s’internationaliser

Si l’impulsion forte donnée au départ par la puissance publique sur de tels projets de communs est fondamentale, elle est également susceptible de générer des effets contradictoires :

  • La place prépondérante donnée à cet acteur de par l’ampleur de sa capacité à soutenir le projet peut avoir pour effet de phagocyter la communauté et de ralentir son développement ;
  • La différence de moyens entre les forces vives peut affecter l’équilibre de la gouvernance en train de structurer ;
  • Une trop forte institutionnalisation des processus peut également ralentir le projet dans une phase où l’agilité peut s’avérer être un atout majeur.
  • Enfin, l’instabilité des contextes politiques dans lequel s’inscrit le projet peut mettre en danger sa pérennité, si le portage n’est pas continu (par exemple dans le cas de Decidim, la possible non-réélection d’Ada Colau a suscité des questionnements sur la pérennité du projet).

Dans le cadre de Decidim, si l’effet d’inertie provoqué par l’ampleur du rôle de la Mairie de Barcelone dans le projet et le risque politique inhérent aux cycles électoraux est réel, il semblerait que les bases d’un équilibrage des forces se sont amorcées progressivement dans le cadre de la gouvernance formalisée.

Un facteur d’accélération de cette tendance a été le besoin d’internationalisation du projet : de plus en plus d’acteurs se saisissant de Decidim à l’international, il devenait urgent de traduire l’ensemble des documents nécessaires à sa libre appropriation par tous. Du catalan au castillan puis à l’anglais, cette première transition a permis d’ouvrir peu à peu la gouvernance du projet dans les faits, en application des principes fondateurs de Decidim. Ces transitions ne sont pas nécessairement évidentes puisqu’elles ont lieu au sein de différentes communautés en parallèle : les développeurs, les responsables politiques, les scientifiques qui ne mobilisent pas les mêmes codes, pratiques et outils. Mais Decidim contient ces principes de gouvernance ouverte et inclusive dans son ADN et tend donc naturellement vers cette dynamique, adressant progressivement les différents obstacles rencontrés à l’épreuve des faits. Une des preuves les plus tangibles est la création de l’association Metadecidim.

Aujourd’hui, avec l’adoption croissante de Decidim par des acteurs internationaux, une évolution logique serait que cette transformation progressive de la gouvernance s’accélère et se renforce au profit de davantage d’ouverture et de mutualisation, et donc au bénéfice de la société au sens large.