Collaboration entre inno³ et le Labo Société Numérique

Ce contenu à originalement été publié sur le Laboratoire Société Numérique de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires le 26 avril 2021 par Benjamin Jean et Vincent Bachelet. Vous pouvez retrouver la publication originelle ici.

Depuis plusieurs années, la Ville de Paris est résolument engagée en faveur du développement et de l’exploitation de « communs numériques » sous la forme de solutions logicielles libres et Open Source dont le développement et la maintenance sont mutualisés avec d’autres collectivités. Et si aujourd’hui la GRU (pour « Gestion de la Relation Usagers ») Lutèce, – et les nombreux services numériques associés – sont reconnus internationalement comme fers de lance de la stratégie Open Source de la Ville, de multiples autres projets métiers tels qu’Open ENT (espace de travail numérique), MPE (outil d’élaboration et de passation des marchés) et Botalista témoignent de l’importance et du succès de cette dynamique.

Fruit d’une démarche de recherche et d’analyse, cet article détaille ces différents projets en s’appuyant notamment sur les nombreuses informations collectées lors d’un entretien mené auprès de Nejia Lanouar, Directrice des Systèmes d’Information et du Numérique de la ville de Paris, et l’équipe du projet Lutèce : Pierre Levy, Manager et directeur de projets Open Source, Philippe Bareille, Chef de projet technique, et Isabelle Lenain, Cheffe du Pôle Ingénierie.Ambitieuse et diversifiée, la politique de la Mairie de Paris témoigne du succès d’une démarche numérique au sein d’une collectivité locale qui conjugue agilité de développement, souveraineté numérique et aspects contributifs des modèles ouverts. Pragmatique et innovante, elle démontre que le succès d’un projet numérique dépend autant de sa capacité à répondre à un problème donné que de son mode de conception et de gouvernance – c’est-à-dire des choix qui sont faits afin d’assurer sa mutualisation et, de fait, son maintien et son développement.

50 % des solutions logicielles utilisées par la Mairie de Paris sont Open Source dont 35 % sous Lutèce.

Ce résultat traduit une vision qui met en avant les services numériques et le besoin d’harmonisation de la relation numérique à l’usager.

Précurseure et certainement « hors norme » à l’échelle de la majorité des collectivités françaises, l’expérience de la Mairie de Paris et la diversité des stratégies adoptées par les projets qu’elle a initiés sont riches d’enseignements. Plus encore, elle fournit par sa démarche autant d’outils utiles aux autres acteurs publics qu’aux acteurs privés susceptibles de collaborer avec le secteur public. Devançant l’évolution du cadre règlementaire

1 – L’exploration de l’Open Source au travers de divers projets métiers pour la Ville

Convaincue par le modèle de l’Open Source, la ville de Paris a également forgé son expertise dans l’exploration de plusieurs projets tels Open ENT, MPE ou Botalista.

Open ENT NG (anciennement Open ENT et Lilie) – Paris Classe Numérique

OpenENT NG est un logiciel Libre et Open Source visant à mettre à disposition de la communauté de l’enseignement scolaire une solution d’espace numérique de travail (ENT) permettant entre autres d’accéder à l’agenda des élèves, à un service de messagerie, à des forums de discussion et autres services (menus de la cantine, services périscolaires, etc.). Il est aujourd’hui utilisé à Paris dans les lycées, collèges et 275 écoles primaires via Paris Classe Numérique.

Basée sur la solution Open Source Lilie initiée par la Région Île-de-France en 2009 (voir la présentation du projet en 2010) et renommé Open ENT lorsque d’autres collectivités rejoignirent la communauté, le projet est un vrai succès en termes d’adoption. Cela est d’autant plus notable que les précédentes initiatives similaires n’avaient jamais réussi à s’installer durablement, malgré toutes les incitations en ce sens. À ce jour, OpenENT NG peut être utilisé, adapté et redistribué gratuitement et librement, sans autre coût que celui des modifications commandées ou des services associés, et à la seule condition de reverser les modifications apportées selon les mêmes termes.

Très vite, d’autres collectivités territoriales à l’instar de la ville de Paris, considérant que le numérique pour l’éducation est un enjeu fondamental et que l’ENT en constitue un aspect central, ont souhaité réutiliser et diffuser Open ENT dans leurs propres établissements scolaires, en finançant des travaux complémentaires réalisés par différents intégrateurs. Ces collectivités territoriales, étant sensibles aux possibilités offertes par une démarche ouverte et de mutualisation, ont vu l’Open Source comme un vecteur d’optimisation de leurs moyens et dépenses.

Renforçant sa vision stratégique sous l’impulsion de la région Picardie, Open ENT est devenu Open ENT NG en 2014 lors de la refonte technique de l’outil afin de le moderniser et le rendre plus modulaire. À partir de cette date, un dialogue relativement fluide s’est noué entre les collectivités utilisatrices afin de dynamiser le développement de l’outil au travers d’investissements stratégiques.

Gouvernance et structuration du projet

Si la dimension communautaire était présente dès la conception Open Source du projet, il n’y avait pas de gouvernance commune susceptible d’assurer un réel portage collectif. Devant le constat d’une division des efforts – chaque intégrateur cherchant à mutualiser à son seul profit sans repartage et coordination avec ses concurrents – et la nécessité d’y remédier, la Région Île-de-France avait ainsi initié en 2013 aux côtés des autres collectivités utilisatrices une structuration de la communauté afin de définir et mettre en œuvre une gouvernance commune. Cet effort a donné lieu à la création de l’association de préfiguration Open ENT en novembre 2014 dans le but de favoriser la création, l’évolution, la promotion et le soutien de la solution logicielle OpenENT en combinant les bénéfices tirés de la cohabitation d’une communauté d’utilisateurs et d’un regroupement d’industriels.

Cette structure devait ainsi notamment permettre d’assurer le respect des règles de contributions à OpenENT – telle que la publication systématique des contributions sur une forge commune – dans le but de soutenir et de coordonner l’action des administrations et des collectivités territoriales. Conçue comme délibérément transitoire afin de donner à ses membres le temps de définir une gouvernance adaptée, elle n’a finalement été que peu mobilisée. En effet, la coordination de la communauté des membres utilisateurs semble s’être faite sans réellement s’appuyer sur la structure légale : d’une part grâce à la caractéristique première de l’Open Source qui est de donner une telle liberté première aux utilisateurs finaux qui maîtrisent un domaine commun bien spécifique et d’autre part en raison de la priorité qui était donnée à l’évolution technique du projet au détriment de sa gouvernance.

Aujourd’hui, le dialogue entre collectivités est suffisant pour assurer le développement et la collaboration, notamment en raison du rôle central d’« ensemblier » pris par Open Digital Education, la société éditrice du nouveau noyau technique OpenENT NG. Néanmoins, l’adoption croissante du projet en raison de sa nature Open Source renforce l’importance de soutenir l’intérêt collectif au travers d’une structure fonctionnelle qui puisse assurer certaines missions que les membres ne fournissent pas individuellement. Cela afin d’accroite notamment la communauté et le nombre de contributeurs effectifs au projet (à ce jour, il est encore relativement complexe pour un utilisateur final de contribuer directement, en revanche plusieurs entreprises ont intégré ou développé des extensions).

Licence du projet (gestion des droits des contributeurs)

Héritant du cadre juridique de Lilie, Open ENT est diffusée sous double licence, GNU Affero General Public License 3.0 et CeCILL-C 1.0 « aménagées » pour les besoins du projet. L’utilisation de ces deux licences s’explique par la volonté initialement de conjuguer le bénéfice d’un cadre modulaire (permettant le développement de modules indépendamment du cœur logiciel et soumis à leurs propres licences), qui soit contraignant par l’usage de l’application en mode Saas (Software as a Service – lorsque l’on accède à distance au logiciel, généralement par son navigateur ou mobile) et compatible avec le droit français (la licence CeCILL-C ayant été rédigée à cette seule fin).

Outre que la solution répond à un vrai besoin avec une ergonomie facilitant son utilisation, son succès repose sur une combinaison de facteurs : un portage politique fort, une architecture modulaire, une communauté qui s’est construite autour du projet et qui continue à le développer et la place importante donnée aux acteurs économiques qui continuent à s’impliquer dans la solution aux côtés des collectivités.

Mutualisation des développements

Aujourd’hui et après l’investissement initial consenti par plusieurs collectivités (au premier chef desquels la région Île-de-France) ayant permis le développement du socle de base, chaque collectivité investit financièrement dans le développement de modules qui sont ensuite mutualisés.

Une attention particulière est apportée à ce que les demandes soient assez uniformes d’une collectivité à l’autre afin que le potentiel de mutualisation soit élevé. Ainsi, les collectivités s’entendent généralement pour cofinancer le développement d’un module et se concertent pour optimiser les commandes à leurs fournisseurs. De même, les acteurs publics restent particulièrement vigilants pour s’assurer que l’intégrateur et le porteur du projet jouent le jeu de la mutualisation. Parmi les enseignements susceptibles d’être tirés d’Open ENT, retenons ainsi qu’il est fondamental que les intégrateurs comprennent et contribuent effectivement au développement Open Source du projet.  De même, lorsque le rôle d’« éditeur » est assuré par un acteur économique (et non via une structure communautaire créée à cette fin), il est primordial qu’il comprenne la philosophie et les enjeux de l’Open Source, et en joue le jeu malgré l’existence d’une concurrence.

Élaboration et Passation des Marchés (EPM) et MPE

Développé en 2007, le logiciel Élaboration et Passation des Marchés (EPM) a été conçu dans le cadre de la modernisation du système d’information de la Ville de Paris afin de gérer les nombreux marchés publics de la collectivité. Diffusé au départ en Open Source (sous licence CeCILL 2.0) afin de partager cette solution avec d’autres collectivités françaises ou étrangères, ce projet a fait l’objet d’un important investissement de la Ville qui y a mis beaucoup d’ingénierie métier et de savoir-faire juridique.

Quelques autres collectivités importantes (telle Marseille) ont cherché à bénéficier de cette solution et contribuer ainsi à son adoption. Cependant, des difficultés de mise en place d’une gouvernance Open Source du produit, partagée entre les collectivités locales et adaptée aux enjeux de chacun, concomitante à l’adoption par l’État de la solution, a modifié l’organisation et le pilotage de la feuille de route. Ainsi, le modèle économique du projet qui conjuguait une mutualisation de besoins entre collectivités et un investissement par l’éditeur initial n’a pas pu se concrétiser pour deux raisons principales :  une mutualisation insuffisante dans le cadre du projet (empêchant notamment l’accroissement de la communauté) et une gouvernance insuffisamment définie.

Aujourd’hui, une nouvelle version du projet, MPE, a été élaborée avec le GIP Maximilien sur la base de l’ingénierie métier EPM. Pragmatique, Paris va adhérer à ce groupement en imposant néanmoins la garantie de pouvoir repartir le cas échéant avec une autre société à la fin du contrat.

Avec le recul, la Ville n’a sans doute pas suffisamment anticipé lors de la construction d’EPM, la volonté de mutualiser le projet à terme, puisque le développement n’avait été pensé que selon ses besoins propres, alors que l’élaboration et la passation des marchés impliquent des particularités selon les collectivités – et que Paris constitue vraiment un cas à part en termes de volume et de compétences. Le produit a donc été utilisé par l’État qui l’a fait adapter à ses besoins, et par d’autres collectivités qui l’ont cependant trouvé surdimensionné et s’en sont peu à peu éloignées. Il est possible de tirer comme enseignement d’un tel projet que la mutualisation et la collaboration doivent être pensées au plus tôt du projet au risque sinon d’être particulièrement complexes à mettre en œuvre a posteriori : d’un point de vue juridique (cadre de collaboration) et technique (notamment par le choix d’une architecture modulaire).

Botalista

Les systèmes d’information aux Conservatoire et Jardin botaniques (CJB) de la Ville de Genève ont développé ces dernières années un « Système d’information botanique de Genève » (SIBG) afin de s’émanciper des technologies dites « propriétaires » inadaptées (appartenant à un seul éditeur qui décide librement des conditions tarifaires, des évolutions technologiques, etc.) et de proposer une alternative Open Source appelée Botalista reposant exclusivement sur des logiciels libres et les connaissances et outils métiers du CJB.

Initié par Genève, le projet a toujours été annoncé comme un projet Open Source ouvert aux autres jardins botaniques. De fait, la ville de Genève a validé le 30 octobre 2019 la mise à disposition en Open Source sous une licence type GNU GPL du logiciel Botalista, la création de l’association Botalista ainsi que l’adhésion de la Ville de Genève à ladite association. Les autres parties prenantes sont notamment le Jardin botanique de la Ville de Paris – constitué de 4 jardins que sont l’Arboretum de l’école du Breuil (bois de Vincennes), le Parc floral de Paris (bois de Vincennes), le Parc de Bagatelle (bois de Boulogne), le Jardin des serres d’Auteuil (bois de Boulogne) –, le Jardin botanique de Bordeaux et celui de Nancy en France, ainsi que ceux de Berne, Lausanne et Neuchâtel en Suisse.

La ville de Paris a rejoint la communauté suite à des échanges entre jardiniers botanistes des deux villes et contre la promesse d’un passage en Open Source de la totalité du projet. Aujourd’hui, la solution est utilisée dans 10 à 15 jardins de la Ville. La principale difficulté rencontrée à ce jour concerne le suivi du partage du code en Open Source par le prestataire. C’est pour cette raison qu’une association dédiée a été créée à l’initiative de Genève, afin de centraliser les demandes de développement et leur suivi jusqu’au partage du code. Les adhésions à l’association permettront de financer un équivalent temps-plein (ETP) pour effectuer ce travail de gestion et suivi. L’association est utile pour la gestion du projet, mais également pour assurer sa pérennité.

Paris n’étant pas à l’origine du projet ni même de la communauté, et la gouvernance n’étant pas parfaitement finalisée, il lui est plus difficile d’intervenir directement. Néanmoins, concernant l’évolution du modèle économique, les avis divergent sur la politique de double licence (aussi dite dual licensing) avec une version pour les membres de la communauté et une à destination des entreprises.

La Ville de Paris est très attachée au principe « public money, public code » : le code développé grâce à de l’argent public doit être Open Source et librement accessible. Ces divergences de point de vue soulignent l’importance de l’implication des utilisateurs dans la communauté du projet et illustrent l’idée que le choix de l’Open Source reste une prise de risque pour un DSI s’il ne procède pas d’un choix politique (ou bénéficie du soutien politique) assis sur une gouvernance claire et formalisée.

Au-delà du logiciel, le projet œuvre actuellement sur la mise en place d’un « Botalista DataShare Center » alimenté par des services web installés sur chaque instance de Botalista et permettant aux personnes membres de la communauté Botalista de partager les informations traitées (tels que noms de personnes, nom latins d’espèces, références bibliographiques, descriptions d’espèces, etc.), réduisant ainsi l’effort de saisie et la disparité des données. La connectivité et le partage de l’information avec d’autres types de bases de données seront également possibles, en s’appuyant sur des standards internationaux de transfert et d’échange d’informations liées à la biodiversité. Si les liens ne sont pas clairement exprimés, une telle initiative pourrait nécessairement être rapprochée du réseau botanique de référence Tela Botanica.

2 – Lutèce, un projet d’envergure globale

Lutèce est un moteur de portail libre et Open Source qui permet de créer rapidement un site ou application web dynamique.

Développé par la Direction des Systèmes et Technologies de l’Information (DSTI) depuis 2001, il est aujourd’hui le socle sur lequel s’appuie l’essentiel des nouveaux services numériques mis à en place par la ville de Paris. Il est déposé sur l’Adullact depuis 2005, a son propre site depuis 2007 et a rejoint la base de code de l’association OW2 en septembre 2014 dans le cadre de l’initiative OW2 « OSS in Big Cities ».

Historique et situation actuelle

Le choix de l’Open Source à Paris est soutenu depuis 2001 sur le plan politique. Néanmoins une posture pragmatique a été conservée et il est procédé, à chaque lancement de projets, à l’examen objectif des critères de compétitivité, coût sur le long terme, souveraineté partage, transparence, etc. Il est également important de mesurer l’effort à fournir lorsqu’il existe des solutions sur étagère. Il ne peut donc y avoir de dogmatisme en la matière : le contexte et le besoin métier sont à chaque fois différents et amènent la Ville de Paris à se reposer les bonnes questions.Il est aujourd’hui clair que, sans la solution Lutèce, le développement de dizaines de services numériques pour l’usager, cohérents et adaptés aux spécificités de la Ville, auraient été beaucoup plus coûteux et plus difficiles à mettre en œuvre, sans compter la gestion complexe des relations multiples entre différents éditeurs et intégrateurs.

Le projet Lutèce a été initié en 2001 sous la première mandature de Bertrand Delanoë afin de mettre à disposition des 20 mairies d’arrondissement de Paris un outil de gestion de contenu numérique. Il est aujourd’hui très porté politiquement et permet d’offrir une vision d’ensemble des services numériques offerts par la ville. Un tel maintien a notamment nécessité que la solution soit comparée régulièrement aux solutions propriétaires concurrentes (aux coûts très élevés, ce qui a facilité le choix de l’Open Source) et que soit démontrée la pertinence des choix techniques au regard des besoins de la Ville (ainsi, la mairie a-t-elle pu par exemple organiser un hackathon autour de 3 solutions Open Source, aboutissant au choix de Lutèce). L’outil servant de socle à la conception de sites divers et variés, il a été choisi de lui associer la licence permissive BSD.

Aujourd’hui 50 % des solutions logicielles utilisées sont Open Source, dont 35 % sous Lutèce, avec un accent mis sur les services numériques. L’usage bénéficie ainsi d’une vision d’ensemble des services et le métier de la DSI s’en retrouve simplifié grâce à l’interopérabilité de fait de tous ses services. S’il n’était pas possible de remplacer rapidement l’ensemble des back-offices, le choix fut donc que tous les nouveaux services développés le seraient sous Lutèce. En parallèle, il y a une volonté de convertir d’anciens services également dans une feuille de route à moyen terme, tout en priorisant le développement de la couche identité numérique (compte parisien, suivi de la relation numérique).Si le recours à des solutions propriétaires reste justifié dans certains cas trop éloignés du métier de la collectivité et pour lesquels n’existe pas de solution Open Source satisfaisante, l’Open Source offre une force de frappe et une capacité d’adaptation très importantes permettant à la DSI d’atteindre les objectifs ambitieux qui lui ont été fixés.

Développement des usages de la Ville de Paris

Cette volonté d’asseoir l’Open Source comme choix par défaut au sein de la Mairie permet également, grâce à la réutilisation qu’il favorise, de développer et déployer rapidement des services, comme ce fut le cas avec la gratuité des transports ou le budget participatif. De tels projets d’envergure ne demandent ainsi que 6 mois pour être prêts.Plus de 100 services ont pu être développés ces 5 dernières années, avec un catalogue d’usages impressionnant, certains d’entre eux étant mutualisés avec d’autres collectivités. Il faut également noter une démarche globale dans le cadre de la conception des outils Lutèce visant à faciliter l’usage de chacun en harmonisant le plus possible l’expérience utilisateur. Ces développements sont réalisés en interne, bénéficiant néanmoins d’une tierce-maintenance applicative assurée par de grands intégrateurs pour la gestion de la roadmap et la réalisation de certains nouveaux projets (via des accords-cadres). Si le développement de ces solutions libres peut être effectué en interne par la DSI de la Ville de Paris, qui ne compte que 10 développeurs, c’est néanmoins une faculté que n’ont que peu de collectivités en France.

Ainsi, le développement fait souvent l’objet d’une passation de marché public – le caractère Open Source de la solution permettant d’ouvrir un marché tout en imposant systématiquement la solution souhaitée. De ce fait, l’absence de compétences en interne n’est pas un obstacle au développement de nouvelles solutions Open Source, ou à la contribution à des solutions existantes, par la collectivité.

Difficultés à mutualiser Lutèce au niveau national

Aujourd’hui, et bien que les seules possibilités de réutilisation du code Open Source en interne sont une valorisation suffisante, la Ville de Paris cherche à mutualiser ses développements avec d’autres villes françaises et internationales, sur le modèle de Barcelone avec Decidim. Si Lutèce est un succès au niveau de la Mairie de Paris, il a été difficile de partager les développements en dehors de la Mairie, même si l’accent n’est véritablement mis sur ce volet que depuis 2018, sans budget communication dédié. Pour l’instant l’essaimage se fait surtout selon une stratégie d’opportunité : par une forte présence de l’équipe de Lutèce aux conférences pour faire la promotion de la solution et par la réalisation de MOOC, présentation, etc. Depuis 2019, la Bloomberg Foundation aide à communiquer autour du projet. Le choix en 2019 de Lutèce par Lyon pour ses services numériques et pour un logiciel de gestion métier pourrait néanmoins amorcer une dynamique inverse vertueuse. Plus récemment, une commune de la petite couronne a fait le choix de DansMaRue pour son outil de signalement et le logiciel de prise rendez-vous a été déployé dans un centre hospitalier de Bourgogne Franche-Comté lors de la crise sanitaire dans des délais records.

La mutualisation reste la principale source de valorisation des projets Open Source développés ou soutenus par les administrations. En soi pour Paris, ce n’est pas un problème pour l’avenir du projet, les besoins de la municipalité sont tels que l’inner sourcing est suffisant pour amortir le coût des développements de Lutèce, mais cela représente une perte d’opportunité de mutualisation à encore plus grande échelle. Ainsi, certains projets proches, à l’instar de RDV Solidarités ou du nouveau logiciel multi-collectivités territoriales développé par l’ADULLACT (voir les projets présents sur le Comptoir du Libre), sont des exemples d’initiatives similaires dans l’esprit avec lesquels encore peu de convergences existent.

Plusieurs freins à cette mutualisation sont identifiés : le manque de portage politique en faveur du libre ; la « prise de risque » que pourrait constituer l’Open Source pour certaines DSI qui préfèrent acheter des « logiciels sur étagère » ; et enfin le manque de moyens alloués à ces questions de mutualisation. A contrario, Paris n’a pas hésité à réutiliser des modules développés par Lyon, comme pour les logiciels ENT, Botalista ou MPE.

Mutualisation à l’international

La mutualisation à l’international de Lutèce est également bien amorcée.

C’est cette logique de médiatisation de Lutèce qui a également présidé à la mise en place d’un partenariat avec l’Université Johns Hopkins de Baltimore, suite à un hackathon organisé par l’Université ayant permis le développement d’un module sur Lutèce à destination des ONG venant en aide aux sans-abris et auquel avaient participé les développeurs de Paris.

Ceci s’est ensuite concrétisé par une implémentation plus large de Lutèce par l’Université au sein de la ville au service d’une ONG (le modèle municipal américain étant très différent de celui que nous connaissons, beaucoup de missions assimilables à du service public y sont exercées par les ONG ou des entreprises privées). Des étudiants, dans le cadre de leur projet de fin d’études, ont déjà mis en place un site Lutèce avec un certain nombre de plug-ins facilitant les démarches des usagers. En 2020, le processus de contribution a été simplifié pour que des étudiants en début de cursus puissent également participer, afin de pouvoir le diffuser à d’autres communautés similaires à l’ONG l’utilisant actuellement. Un partenariat a été noué avec l’Université de Baltimore (pour le développement d’un plug-in). Un projet de proposer Lutece comme plateforme de développement dans le cadre des « Semesters of Code » organisé par l’établissement est actuellement en cours d’études.

En 2020, la Ville de Budapest a fait le choix de développer son site de budget participatif sous Lutece et a ainsi pu réussir la performance de le réaliser en quelques mois.La ville de Paris a pour ambition de co-construire, avec les collectivités qui le souhaitent, un modèle juridique qui permettrait de porter en commun la feuille de route Lutèce avec les acteurs économiques intéressés.