Interview de Caroline Corbal dans le cadre du Paris Open Source Summit 2018

Caroline Corbal, Vice Présidente de l’édition 2018 du Paris Open Source Summit et en charge de la thématique Ecosytem, nous livre sa vision du libre et de l’Open Source dans une interview réalisée pour l’événement.

Pour la première fois, le comité de programme désigne une femme Vice-Présidente. Selon vous, quelle place tiennent les femmes dans l’écosystème Open Source ?

Si les femmes tiennent une place croissante dans l’écosystème de l’Open Source, nous demeurons minoritaires et très peu représentées. Je ne pense pas que ce soit une spécificité propre à la filière de l’Open Source, mais le constat reste sans équivoque : on retrouve une grande majorité d’hommes dans les instances de décision, les programmes des événements, etc.

Ce que je trouve particulièrement déconcertant avec la filière de l’Open Source, c’est qu’on est en présence d’organisations qui prônent activement des valeurs d’ouverture, de transparence ou bien encore de collaboration. Mais lorsqu’il s’agit d’appliquer ces valeurs en interne, que ce soit à l’échelle de l’individu ou de l’organisation, cela s’avère plus compliqué ; et cette incohérence est selon moi de plus en plus dérangeante. J’aimerais que sur ces enjeux notre filière soit exemplaire.

Votre sélection constitue un message symbolique et fort envoyé à la communauté … Vous sentez-vous investie, de quelque façon que ce soit, par ce rôle ?

Oui, je pense que beaucoup d’actions peuvent être mises en œuvre, et qu’il n’y a pas de « petites » actions: chacun peut contribuer à sa manière en fonction de son temps et/ou de sa volonté. À l’échelle d’une organisation, nous avons déjà beaucoup à faire, en étant vigilants sur les actes de sexisme ordinaire, en instaurant des règles internes (code de conduite, chartes) et en se montrant disponible sur ces sujets.

À l’échelle de la filière, nous devons agir pour plus de parité dans les programmes des manifestations publiques, sensibiliser les recruteurs et organiser des actions collectives. C’est en ce sens qu’aura lieu la première rencontre d’Open Héroines France (inspirée du collectif) le 26 avril prochain, rassemblant des femmes de l’open source, de l’open data et de la civic tech dans un cadre ouvert et informel, dont les échanges se poursuivront sur un espace de collaboration en ligne. Enfin, au-delà de la filière, donnons envie aux étudiantes de saisir les opportunités croissantes qu’offre le secteur du numérique.

Ainsi, je serai vigilante à ce que cette édition du Paris Open Source Summit soit ambitieuse sur ces enjeux et valorise véritablement le talent des femmes du numérique ouvert.

Quels sont vos liens avec l’événement Paris Open Source Summit et, plus largement, avec l’écosystème du Libre et de l’Open Source ?

L’équipe d’Inno3 a toujours été fortement impliquée dans le Paris Open Source Summit, désirant contribuer collectivement à la croissance et au rayonnement de la filière. Benjamin Jean (CEO) a co-présidé en 2016 l’événement sous la ligne directrice Empowering Open Innovation. Nous nous impliquons également chaque année dans la Student DemoCup, accompagnant les lauréats sur la stratégie d’ouverture de leurs projets.

Très sensible à la question des communs, je suis activement impliquée dans le secteur de l’Open Gov pour contribuer à faire des «civic- ou gov-tech» des ressources libres et ouvertes au service de l’intérêt général. Nous menons ainsi avec d’autres organisations, via le projet f0rk, des actions concrètes pour outiller les acteurs de terrain, tout en menant une réflexion sur l’éthique et la soutenabilité de ces modèles. Aujourd’hui, un de mes objectifs est de rapprocher ces écosystèmes qui ont énormément en commun.

Quelle vision avez-vous de la thématique Ecosystem ? Quels en sont, pour vous, les enjeux, actuels et futurs ?

Le mouvement du Libre impacte notre société bien au-delà du logiciel, induisant de puissantes transformations sociétales, culturelles et économiques à l’échelle locale comme transfrontalière. De plus en plus robuste au fil des années, le Libre a inspiré la structuration de bien d’autres modèles d’ouverture: l’Open Data, l’Open Hardware, l’Open Gov, l’Open Content… contribuant à rendre l’ouverture mainstream y compris dans nos textes législatifs.

Ce cadre permet à un nombre sans cesse croissant d’acteurs de se saisir de ces modèles pour les expérimenter, les renforcer et en tirer profit pour in fine innover plus efficacement. Dans ce contexte, la thématique Ecosystem apparaît comme une opportunité annuelle pour rassembler et valoriser ces initiatives. C’est une tribune pour celles et ceux qui font le choix de l’ouverture, de la collaboration et qui contribuent à faire progresser ces modèles. Il est important qu’ elle accueille autant des contributions théoriques que de «terrain» : retours d’expériences, hackathons, etc.

Au-delà je pense qu’il faut être ambitieux : envisager la thématique Écosystème comme une chance de créer des synergies concrètes entre des projets ou des acteurs, qui agissent dans la même direction et ont intérêt à mettre en commun leurs énergies et savoir-faire.

Quels thèmes ou secteurs aimeriez-vous mettre en avant pour cette édition 2018 ?

Alors qu’aujourd’hui l’innovation ne peut plus se concevoir à l’échelle individuelle mais doit reposer sur des logiques de mutualisation, une attention particulière sera donnée aux dynamiques d’écosystèmes d’innovation. Dans un nombre croissant de secteurs à forte compétitivité, les organisations (publiques comme privées) font le choix de se structurer en écosystèmes ouverts, dédiés à la production de communs, matériels ou immatériels. Des témoignages d’acteurs qui évoluent au cœur de ces dynamiques seront mis en valeur dans des secteurs variés: santé, finance, spatial, mobilités, culture, droit, énergie, open gov, etc.

J’aimerais qu’une réflexion sur l’éthique associée à ces modèles soit également proposée : la question cruciale de la confiance dans le numérique en dépend. En particulier les enjeux actuels de souveraineté, à l’heure où l’on s’inquiète de la puissance des GAFAM ou encore des dérives potentielles de l’IA. Et faire réellement de la protection des données personnelles un enjeu majeur. Ces transformations, profondes, bouleversent les logiques de marché actuelles et imposent de stabiliser des modèles économiques pérennes. Ainsi une session pourra être consacrée à l’analyse des modèles déjà éprouvés, ou à inventer. Cette proposition n’est pas exhaustive : elle évoluera en fonction des contributions effectuées lors de l’appel à conférences.


A propos de Caroline

Après des études en sciences politiques et en droit de la propriété intellectuelle, Caroline a souhaité rejoindre le secteur de l’Open Source pour sa vision ouverte et progressiste du droit. Elle a ainsi rejoint le cabinet inno3 en 2015, au sein duquel elle s’implique particulièrement sur les questions d’open innovation; structuration d’écosystèmes ouverts et développement de communs.

En 2016 elle devient présidente de l’association DemocracyOS France qui porte et diffuse un logiciel « civic-tech » open source, visant à renforcer le rôle des citoyens dans les prises de décisions. La même année elle co-fonde le projet Open Democracy Now (aujourd’hui f0rk.fr) qui rassemble la communauté civic tech française développant des communs en matière de participation numérique. Par ailleurs, Caroline s’implique dans le Paris Open Source Summit depuis la fusion entre l’Open World Forum et le salon Solutions Linux.

Comité de programme POSS 2018