Retour sur l’Inno’vent « Valorisation des actifs immatériels ouverts »

Tous les deux mois, dans un cadre convivial et en 2h de temps, inno³ propose à une vingtaine de professionnels, de venir faire le point sur les solutions efficientes dans le domaine de l’Open Source, l’open data et l’open innovation leur permettant d’avancer dans la démarche d’ouverture de leurs politiques d’innovation en faveur de processus partagés et collaboratifs.

L’inno’vent organisé le 22 juin 2017 avait pour ambition de présenter les travaux initiés autour de la valorisation des actifs immatériels au sein des projets ouverts, et notamment des projets Open Source.

À l’heure où les modèles ouverts occupent une place de plus en plus importante au sein de notre société, la question de l’évaluation des actifs immatériels devient une vraie préoccupation. Les acteurs économiques ayant fait le choix de diffuser ou d’utiliser des ressources ouvertes se retrouvent confrontés à la nécessité de justifier ce choix auprès des financeurs, voire même auprès de leur hiérarchie.

Le développement d’une méthodologie d’évaluation spécifique aux actifs immatériels ouverts serait ainsi utile :

  • Tant aux entreprises qui décident de diffuser des ressources ouvertes (d’ouvrir des ressources développées en interne) qu’à celles qui décident d’utiliser des ressources ouvertes (d’utiliser au sein de l’entreprise des ressources développées en externe).
  • Tant aux entreprises qui se positionnent déjà dans des logiques d’ouverture et ont déjà recours à l’Open Source, qu’à celles qui n’ont pas encore franchi ce pas.

Cette méthodologie, d’abord pensée pour les projets Open Source, a vocation à être transposée aux autres modèles ouverts que sont l’Open Data, l’Open Hardware ou l’Open Content.

Interview vidéo des intervenant.e. Ségolène Delmas, Armelle Charleux, Benjamin Jean et Robert Viser par le média NEWW (source)

L’inno’vent a été rythmé par trois interventions autour de ce sujet.


Intervention n°1 – Benjamin Jean et Ségolène Delmas

Fondateur du cabinet inno3, Benjamin Jean travaille essentiellement sur les nouveaux usages et collaborations qui se développent autour de la création et de l’innovation (Open Source, Open Data ou plus généralement toute la mouvance en faveur d’une innovation ouverte). Actif depuis près de dix ans dans ce domaine, il a notamment œuvré pour leur prise en compte au sein des gouvernances de multiples acteurs privés et publics, de tailles et de domaines variés, et formé de nombreuses équipes internes aux aspects juridiques afférents.

Juriste spécialisée en propriété intellectuelle et droit des nouvelles technologies, Ségolène Delmas est consultante junior au sein du cabinet Inno³. Elle est principalement en charge des questions d’innovation ouverte et des problématiques liées à la gestion de l’Open Source.

Après avoir étudié les méthodes d’évaluation des actifs immatériels existantes (méthode du coût historique, du coût de renouvellement, méthode transactionnelle, méthode par les revenus futurs nets actualisés et méthode du Thésaurus-Bercy) et les méthodes d’évaluation de la qualité des projets Open Source (OpenBRR, OSMM, OSCAR, QSOS….), ils sont arrivés à la conclusion suivante : aucune méthode n’est adaptée à la valorisation financière des projets Open Source. Les méthodes d’évaluation des actifs immatériels ne prennent pas en compte les spécificités liées au caractère ouvert de ces projets, tandis que les méthodes d’évaluation de la qualité des projets Open Source ne s’attachent pas à évaluer leur valeur.

Ils ont donc proposé une méthodologie ad hoc, conçue pour prendre en compte les spécificités des projets Open Source. Le constat sur lequel repose la méthodologie est le suivant : le projet possède une valeur globale susceptible d’être « partagée » entre tous les acteurs y participent. L’entreprise, par son « emprise » sur le projet, va pouvoir récupérer une partie de cette valeur.

La valeur globale du projet est évaluée à l’aide de différents critères, répartis en quatre catégories : le capital humain, le capital technique, le capital organisationnel et le marché. L’emprise de l’entreprise sur le projet est, quant à elle, évaluée selon trois axes : la production du code source, la titularité des droits de propriété intellectuelle et la gouvernance.

Une grille d’évaluation a ainsi été établie. Celle-ci a vocation à présenter les premières réflexions autour des critères d’évaluation à utiliser, et à être enrichie durant l’année grâce à la collaboration de tous les acteurs concernés : professions du chiffre, experts en propriété intellectuelle, porteurs de projets ouverts, etc.

Lien vers le livre blanc « Évaluation et valorisation des actifs immatériels ouverts »


Intervention n°2 – Robert Viseur

Ingénieur civil de formation et Docteur en sciences appliquées, Robert Viseur est assistant à la faculté Polytechnique de l’Université de Mons en Belgique et Senior R&D Expert au CETIC. Il travaille principalement sur le management de l’innovation, sur le management de la co-création, sur la valorisation des logiciels libres et Open Source, sur les essaimages Open Source, sur l’e-business et sur la mise en œuvre de technologies libres de traitement de l’information.

Après avoir rapidement évoqué l’évolution de la notion d’Open Source depuis son émergence dans les années 80 à sa généralisation progressive vers l’Open Source innovation avec l’Open Content, l’Open Data, l’Open Hardware et l’Open Cloud, Robert s’est penché sur ce que la recherche peut apporter à l’évaluation de projets Open Source, et par extension, à celle d’actifs « ouverts ».

L’Open Source est un objet d’étude pour les chercheurs depuis près de vingt ans. Ceux-ci tentent de comprendre quels sont les modèles d’affaires dans l’Open Source – et leurs évolutions – mais également comment fonctionnent des communautés Open Source.

Robert formule l’hypothèse selon laquelle la valeur d’un actif immatérielle serait la somme :

  • De la valeur des objets techniques : celle-ci serait estimable par la taille et les caractéristiques du projet (en utilisant par exemple la méthode COCOMO), diminuée de la valeur de la dette technique (estimée grâce à des méthodes de type SonarQube) et modulée par le degré de contrôle sur le projet.
  • De la valeur des externalités, estimable à partir de la valeur du code source apporté par la communauté et éventuellement modulée par un facteur de gouvernance (qui pourrait être calculé sur la base de l’Open Governance Index).
  • De la valeur commerciale du projet, estimable par la Valeur Actuelle Nette du projet sur trois ans.
  • De la valeur de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire des marques, des brevets et du droit d’auteur.
  • De la prime d’opportunité du marché, estimable en se référant aux tendances actuelles du marché (grâce à des outils comme le Hype Cycle de Gartner).
  • De la prime d’opportunité du processus, estimable sur la base de la maturité du processus de développement et de l’infrastructure collaborative.

Intervention n°3 – Amel Charleux

Amel Charleux est doctorante en management à l’Université de Montpellier. Sa thèse vise à comprendre comment sont gérées les questions liées à l’appropriation de l’innovation dans les modes relationnels de coopération, et notamment de coopération entre concurrents (coopétition). Sa réflexion porte plus spécifiquement sur le secteur de l’Open Source, mais a vocation à être étendue à d’autres secteurs, tels que la pharmacie, l’agriculture ou les biotechnologies.

Amel s’intéresse tout particulièrement aux relations entre contributeurs. Lorsque deux entreprises concurrentes contribuent au même projet Open Source, quelles sont alors leurs relations ? Leurs relations sont-elles plus paisibles, du fait de la contribution à un projet commun ou, au contraire, continuent-elles à être en compétition ?

Amel a également présenté un schéma ayant vocation à « classer » les projets Open Source selon leur appétence pour le business et leurs valeurs. Elle distingue donc les optimisateurs des experts, des explorateurs et des engagés. Les optimisateurs représentent les entreprises dont l’optique principale est de développer un business model le plus efficace possible autour de la solution (souvent en recourant à des doubles licences), tandis que les engagés représentent à l’inverse les projets les plus attachés aux valeurs du libre et de l’Open Source.

Amel a constitué une base de données en répertoriant plus de 300 projets Open Source, pour lesquels elle a indiqué le langage utilisé, le nombre de lignes de code, le nombre d’utilisateurs, etc. Il serait intéressant de se servir de ces données pour tester le modèle d’évaluation des projets Open Source, lorsque celui-ci sera opérationnel.

Ces différentes présentations ont soulevé de nombreuses discussions dans l’assemblée, liées notamment à la gouvernance des projets Open Source et à leur situation dans le schéma de valorisation présenté par Amel.

Les discussions se sont ensuite poursuivies autour d’un verre, dans une ambiance chaleureuse et conviviale, comme lors de chaque inno’vent.