La Gouvernance des projets Open Source, préoccupation majeure du Paris Open Source Summit 2019

Le Paris Open Source Summit s’est tenu aux Docks de Paris les 10 et 11 décembre 2019. Évènement majeur du monde du libre et de l’open source, il permet de réunir le temps de deux journées les principaux acteurs du domaine, mais également d’organiser toute une série de conférences autour de différents thèmes.

Cette année, Inno³ a suivi avec attention les conférences concernant la gouvernance, l’éthique et les écosystèmes, notamment consacrées aux business models, à la valorisation et aux conditions de travail (soutenabilité) de l’open source.

Cet article propose une synthèse des points marquants de différentes présentations et table-rondes sur ces sujets tout en les mettant en perspective des réflexions, des projets et dynamiques en cours au sein d’Inno³.

Business Models et Valorisation de l’Open Source

Échanges libres sur la valorisation

En l’absence d’un intervenant, des échanges libres ont donné lieux à plusieurs remarques :

  • Dans certaines entreprises, il peut y avoir une utilisation d’outils open source, mais sans culture open source en tant que telle. Les entreprises, dans ce cas, recourent à des outils open source, mais ne mettent pas en place des processus de discussion, de partage entre équipes et/ou départements ;
  • le constat qui en est tiré est celui d’un besoin d’ « évangélistes » de l’open source au sein de ces entreprises, faisant la promotion des projets open source déjà existants en interne ;
  • en résumé, l’inner sourcing doit entrer dans les usages, comme un préalable à une ouverture plus large des projets via git.

« How open source, by its nature, can generate business ? »

La première présentation, «How open source, by its nature, can generate business ?» par Kevin Dejour de ORO Inc., vient ajouter un nouveau constat, celui de l’omniprésence de l’open source, qui s’est diffusé très vite grâce aux valeurs qu’il promeut ; mais également de l’impasse dans laquelle le laissent ces valeurs s’agissant de son financement. Plusieurs pistes de financements ont été avancées, reposant en majorité sur le développement d’un écosystème de partenaires ou services autour de la solution open source, prouvant ainsi que l’open source peut bien par nature générer de la valorisation.

Ces pistes ont été complétées lors de la présentation suivante («Comment financer un projet de logiciel libre» par Ludovic Dubost, fondateur de Xwiki), partant du constat de la nécessité d’une réflexion autour d’un financement éthique des projets open source, et notamment de leurs mainteneurs ; mais également de l’urgence de développer des moyens de financements à son échelle dans l’attente d’une solution plus globale. Divers outils de financements ont été ainsi proposés par L. Dubost selon l’état d’avancement et les besoins du projet : support, service, développements de modules payants tout en restant open source, recours aux assurés projets de recherches, etc.

Inno³ est conscient de la problématique majeure que représente le financement pour les projets open source, c’est pourquoi, en plus de s’efforcer d’apporter des réponses et solutions concrètes aux structures qu’elle accompagne, l’équipe a engagé une réflexion plus globale sur le sujet avec le recrutement en convention CIFRE de Vincent Bachelet, doctorant à l’UVSQ-Paris Saclay et dont la thèse porte sur les outils juridiques au service de la soutenabilité des communs numériques.

Si le financement est actuellement un sujet majeur au sein du monde de l’open source, la gouvernance demeure un axe primordial de réflexion.

Gestion d’une entreprise open source

La gouvernance était au cœur de la présentation de Vincent Picavet, co-fondateur d’Oslandia, qui a expliqué la manière dont il envisageait la gestion d’une entreprise éditrice d’open source.

Dans un premier temps, pour V. Picavet, il s’agit de promouvoir un management cohérent avec les valeurs de l’open source. Cela passe par un cadre de collaboration co-construit par les membres de l’entreprise, mettant l’accent sur l’horizontalité de l’organisation (peu de hiérarchie et beaucoup d’autonomie et de responsabilités). Cela suppose une très bonne documentation du travail effectué par chacun. Ce besoin est d’autant plus accru dans le cas d’Oslandia dont les employés travaillent à distance et parfois sur des fuseaux horaires différents. La documentation est dans ce contexte indispensable pour l’autonomie de chaque personne. Enfin, le recours à des chartes de bonnes pratiques peut être encouragé.Dans un second temps, il s’agit pour l’entreprise de réfléchir collectivement à l’impact de ses productions sur le monde, c’est-à-dire savoir pourquoi on fait ce que l’on fait.

Inno³ s’intéresse particulièrement a ce sujet depuis plusieurs mois maintenant. En effet, en plus d’accompagner plusieurs structures publiques et privées dans la mise en place concrète de leur gouvernance de projet open source ou de communs numérique, Inno³ a engagé une démarche scientifique prospective, cherchant de nouveaux modèles de gouvernance adaptés aux problématiques actuelles des projets open source.

Enjeux liés à la gouvernance de l’Open Source

Gilles Gravier, de Wipro Technologies, s’est concentré dans son exposé sur les raisons de la nécessité des questions de gouvernance au sein des projets open source. Après la première génération qui a vu la naissance du Libre, la deuxième marquée par l’émergence de l’open source, et la troisième caractérisée par la vente de prestations open source aux géants du Net, nous entrons selon G. Gravier, dans la quatrième génération du Libre et de l’open source, au cours de laquelle les entreprises privées s’investissent de plus en plus dans le développement des logiciels open source. Cet investissement a conduit à une accélération du développement des projets, mais pose désormais et de façon de plus en plus urgente la question de leur gouvernance, et plus particulièrement de la promotion de la gouvernance open source en entreprise. En effet, celle-ci permettrait de répondre à certains challenges qui aujourd’hui freinent l’implication des entreprises dans le monde de l’open source (attachement aux licences commerciales, manque de culture open source, etc.) ; mais elle permettrait également de lutter contre certaines idées reçues (sécurité moindre des projets, incompatibilité entre open source et commercialité, etc.) qui sont autant de freins. Une meilleure gestion de l’open source en entreprise permettrait aussi d’éviter les conflits de licences que connaissent aujourd’hui 68 % des dépôts de code.

En résumé, une meilleure diffusion de l’open source en entreprise permettrait une meilleure implication des entreprises dans l’open source.

eZ Système et place de l’éditeur dans une gestion de l’Open Source

La question de la gouvernance était également au cœur de la présentation de Bertrand Maugain (eZ System), qui s’intéressait à la place de l’éditeur dans la gestion d’un écosystème. Dans cette présentation B. Maugain est revenu sur les différentes interactions possibles au sein d’un écosystème entre éditeurs, partenaires et clients, avant de s’attarder sur le rôle que devrait être celui de l’éditeur et les outils à sa disposition (licences, services, programmes de partenariat) lui permettant d’assurer une forme d’équilibre au sein de l’écosystème en orientant tour à tour ses efforts vers le partenaire ou le client.

Le contrepoint de Microsoft

Une présentation extrêmement dense de S. Wally (Microsoft) intitulée « Sustaining OSS » est venue contrebalancer les points-de-vue exprimés précédemment, revenant à la fois sur l’histoire de l’open source et la démarche de constitution d’une communauté autour d’un projet. Le constat de S. Wally étant que la majorité des problèmes rencontrés par les projets open source étaient plus des questions logicielles que de réels problèmes de soutenabilité.

Ces échanges se sont conclus sur une table ronde autour de laquelle étaient réunis T. Carrez (OpenStack), G. Beccu (Smile) et C. Villemer (Savoir-Faire Linux).

Les conditions de travail des mainteneurs

Un contrat pour soutenir les mainteneurs

Les trois dernières présentations s’intéressaient à la question des mainteneurs de projets open source, sur laquelle Inno³ est particulièrement investi, en témoigne la première présentation du panel, assurée par Benjamin Jean, à propos du projet d’un contrat basé sur le droit des marques et devant permettre d’assurer une rémunération décente des mainteneurs de projets open source, dont nous vous invitons à retrouver les détails ici.

Prestashop et la gestion de l’open source

Suite à cette présentation, A. Thomas de Prestashop est venu présenter la politique de gestion de l’open source au sein de son entreprise ; puis Nina Cerci (Nextcloud) est intervenue pour faire un retour sur les récents problèmes de maintenance de projets open source, et sur les conditions ayant permis les attaques telles que celle ayant ciblé l’application copay : absence de responsabilité claire relative à la maintenance ; charge de travail conséquente des mainteneurs ; absence de process de validation du transfert des droits par le mainteneur initial de dépôt par lequel est intervenue l’attaque. Pour N. Cercy, les problèmes rencontrés ne sont pas liés à la nature open source des projets, mais plutôt à une mauvaise gouvernance de la communauté et au peu de considération adressée aux mainteneurs.

Conclusion

De ces deux jours de conférence, nous retiendrons donc que si les acteurs de l’open source sont actifs à leur niveau pour proposer des solutions de financements de leurs projets sur le long-terme ainsi qu’une gouvernance assurant leur pérennité, il semble essentiel de mener une réflexion à plus grande échelle sur les outils, notamment juridiques, à mobiliser pour assurer ce développement et ce maintien.

Toute l’équipe d’Inno³ est évidement mobilisée sur ces sujets, cherchant aussi bien à élaborer des solutions personnalisées avec les structures qu’elles accompagne, qu’à proposer de nouveaux outils instanciables afin d’anticiper au mieux ces problématiques – à l’image du Contrat Mainteneurs – et à investir ces problématiques par le biais de la recherche et du temps long, afin d’approfondir sa réflexion sur l’open source et d’anticiper aux mieux les enjeux de demain.

Auteur/Autrice

Vincent Bachelet

Vincent BACHELET